jeudi 29 octobre 2020

COTE D'IVOIRE: UNE ELECTION PRESIDENTIELLE SUR FOND DE TENSIONS POLITIQUES ET COMMUNAUTAIRES

 




A l’instar de plusieurs pays africains, la Côte d'Ivoire entame un nouveau cycle électoral. Celui-ci commence par l’élection la plus importante : l’élection du président de la république. Cette échéance électorale est particulièrement différente de celle de 2015 pour une raison essentielle : la profonde recomposition du paysage socio-politique. Entre 2015 et 2020, les dissensions politiques observées ont fait éclater la coalition au pouvoir, le RHDP, avec le retrait du PDCI d’Henri Konan Bédié, celui de Guillaume Soro et des membres du parlement qui lui sont restés loyaux. Au cœur de ces divergences politiques : la question de l’alternance et de la transition politique et générationnelle au sein de la coalition au pouvoir.  Le contexte politique actuel donne de nouveau lieu à de nouvelles alliances politiques avec la synergie ou la mutualisation des actions politiques des anciens alliés d’Alassane Ouattara (Henri Konan Bédié, Albert Mabri Toikeusse)  et des autres membres de l’opposition politique dont les deux tendances du FPI, Mamadou Koulibaly, etc.

Cette joute électorale qui déchaine particulièrement des passions va structurer la trajectoire socio-politique de ce pays pour les cinq années à venir voire un peu plus. Malheureusement, le processus électoral est conduit sans un minimum de consensus des acteurs politiques autour des questions essentielles liées audit processus.

CONTESTATIONS ET GRIEFS DE L’OPPOSITION POLITIQUE CONTRE ALASSANE OUATTARA

A cinq (5) jours de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, l’opposition politique pourrait s'abstenir de participer à cette compétition importante. Pour cause, elle a émis un chapelet de griefs qu’elle a adressé aux missions de la CEDEAO et des Nations unies qui l’ont  rencontrée. Ces missions internationales ont visé à donner une dernière chance au dialogue politique avant la tenue effective de cette élection. L’opposition politique conteste la candidature du président Alassane Ouattara. Celui-ci, après deux mandats successifs de cinq (5) années se porte candidat pour un nouveau mandat. Il justifie cette candidature par la disparition d’Amadou Gon Coulibaly qu’il avait désigné pour lui succéder à la tête du RHDP et aussi pour défendre les couleurs du parti lors de l’échéance électorale du 31 octobre 2020. Mais contre toute attente, Amadou Gon Coulibaly dont la santé était fragile décède en Côte d’ivoire, après un séjour médical de deux mois en France. Sur l’insistance pressante des différentes instances de son parti, Alassane Ouattara décide finalement de compétir.

Pour l’opposition, cette candidature du président en exercice est une transgression de la loi fondamentale qui limite à deux le nombre de mandats à la tête du pays. En réponse à ce grief, Alassane Ouattara rétorque briguer son « premier mandat de la troisième république ».

Les adversaires et anciens alliés d’Alassane Ouattara récusent la Commission électorale indépendante (CEI) et le Conseil Constitutionnel. Ces organes en charge de l’organisation de l’élection et de la gestion du contentieux électoral sont perçus comme des institutions « inféodées au pouvoir ». Si la CEI est dite « déséquilibrée », pas suffisamment réformée et majoritairement dominée au niveau central et local par le parti au pouvoir, le Conseil constitutionnel, lui, est soupçonné d’être à la solde du régime. Cette dernière accusation a été amplifiée par le rejet de quarante (40) candidatures sur les 44 quarante quatre dossiers déposés auprès de ladite institution. Laurent Gbagbo et Guillaume Soro dont les candidatures ont été déposées par leurs proches ont été invalidées. 


Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, Bertin Konan Kouadio et Pascal Affi N'guessan sont les quatre personnalités politiques retenues par le Conseil Constitutionnel pour la compétition électorale.

Ceux-ci ont été retirés de la liste électorale, après des condamnations par contumace prononcées par les juridictions nationales. Pourtant, des arrêts de la CADHP avait ordonné à l’Etat ivoirien de les réintégrer sur le fichier électoral afin de leur permettre de participer au scrutin. Elle remet en question l’intégrité du fichier électoral dont elle exige l’audit international.

D’autres anciens alliés et adversaires politiques du président sortant ont vu leurs candidatures également rejetées pour diverses raisons liées, par exemple, au parrainage des citoyens insuffisants ou le double parrainage. Toutefois, ces rejets sont remis en cause par ces leaders de l’opposition. A l’issue des délibérations des juges constitutionnels,  ce sont Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’guessan et Kouadio Konan Bertin qui ont vu leurs candidatures être validées par le juge constitutionnel et qui auraient dû affronter Alassane Ouattara dans les urnes. Cependant, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan exigent le retrait de la candidature

 

RISQUES DE VIOLENCES GENERALISEES DANS LES LOCALITES SUPPOSEES PROCHES DE L’OPPOSITION

Face au maintien d’Alassane Ouattara de sa candidature, les leaders de l’opposition amenés par Henri Konan Bédié ont lancé un mot d’ordre à la désobéissance civile et au boycott actif de toutes les opérations liées au processus électoral. La mise en œuvre de ces consignes par les militants de l’opposition ont été observées dans plusieurs localités du pays, depuis le 13 août 2020, date marquant le début des manifestations contre la candidature d’Alassane Ouattara.

Cependant, ces manifestations visant à dénoncer la candidature controversée d’Alassane Ouattara se sont muées en affrontements intercommunautaires dans plusieurs villes du pays notamment à Daoukro, Bonoua, Divo, Gagnoa, Bongouanou et Dabou. Elles ont déjà causé quelques dizaines de morts dont 16 pour la seule localité de Dabou, puis la destruction d’importants dégâts matériels et même le saccage des symboles de l’Etat. La montée des tensions politiques et éventuellement la généralisation de ces violences, le jour du scrutin, dans les zones supposées proches de l’opposition (sud, centre, ouest est) pourrait sérieusement mettre à mal la tenue de l’élection présidentielle dont l’un des enjeux reste le taux de participation mais aussi susciter une flambée de violences.




Les différentes missions de la CEDEAO et du représentant du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’ouest ont échangé avec les différents candidats, certains protagonistes de la scène politique  et les organisations de la Société Civile. L’objectif était d’encourager les différents candidats à participer au scrutin et à contribuer à l’apaisement du climat socio-politique. Mais ces rencontres avec les différents représentants des institutions sous régionales et régionales n’ont pas vraiment infléchi l’opposition qui a maintenu l’appel à la désobéissance civile et au boycott actif des opérations électorales.

L’intransigeance des deux parties politiques a contribué à accentuer la fracture sociale et politique.   C’est dans ce contexte fortement polarisé que les populations ivoiriennes, déjà apeurées par la flambée des violences électorales, iront aux urnes.

 


 

 

 

dimanche 2 août 2020

Présidentielles ivoiriennes: Quelle analyse des probables retours des principaux leaders dans l'arène politique?




Et si tout n'était qu'une question d'honneur à restaurer ou à préserver?

La prochaine compétition électorale se présente comme l'ultime combat pour les 3 personnalités qui ont dominé, sans partage, la scène politique depuis 3 décennies. Leurs vies et leurs parcours politiques se confondent avec les crises successives et les mutations socio-politiques que la Côte d'Ivoire a connues ces dernières années.
Au moment où les dernières pages de leurs parcours atypiques s'écrivent, ces figures politiques entendent imprimer dans la mémoire collective, l'image de personnages qui auront réussi à restaurer/ préserver leur dignité et leur honneur avant de quitter définitivement l'arène politique.
L'un a fait partie des artisans du "miracle économique ivoirien" des années 70 et 80. Il accède au pouvoir après la disparition du Père fondateur en 1993. Il est élu président en 1995 à l'issue d'une élection présidentielle boudée par les principales figures de l'opposition politique. En 1999, les contestations sociales et les difficultés socio-économiques précipitent sa chute. Il quitte la Côte d'Ivoire et fait l'amère expérience de l'exil. Il revient sur la scène politique en 2010 et favorise l'avènement au pouvoir de l'actuel locataire de la présidence de la république. Les antagonismes entre les deux alliés rompent leur alliance.
Au regard de la recomposition profonde du paysage politique, il appréhende la prochaine joute électorale comme l'occasion espérée pour laver l'affront de 1999. En clair, il est probablement question pour lui de restaurer son honneur et son image au risque de voir l'Histoire retenir qu'il est celui par qui le parti septuagénaire, le parti du Père fondateur, a perdu le sceptre du pouvoir.
L'autre est présenté comme le père du multipartisme. Il se fait remarquer par la témérité et la pugnacité qu'il affiche face au Père fondateur. Il accède au pouvoir en 2000. Deux années après, il est confronté à une crise armée. D'accords politiques en compromis politiques, il accepte d'organiser l'élection présidentielle en 2010 en vue de la sortie de crise. A l'issue de la violente crise post-électorale de 2010, il perd le pouvoir. Il est présenté comme un trophée de guerre sur toutes les chaînes de télévisions internationales.
Il est transféré à la prison de Scheveningen. Après un procès fleuve de près de 8 années, il jouit encore d'une grande popularité auprès des populations . Les fréquentes rumeurs autour de sa libération ont souvent suscité des scènes de liesse dans ses bastions traditionnels. Dans l'attente de la décision de la Chambre d'appel de la CPI, il pourrait envisager un retour sur la scène politique pour restaurer cette image vitriolée que les médias occidentaux ont entretenue au cours de son passage à la tête du pays. Une question d'honneur!
Le 3è fait son entrée sur la scène politique à la faveur des difficultés économiques que le pays rencontre à la fin de la décennie 80. Nommé Premier Ministre, il est chargé de conduire de profondes réformes politiques et économiques pour sortir le pays d'une situation socio-économique exsangue. Après le décès du Père fondateur, il se retire momentanément de la scène politique. Il revient plus tard et prend les rênes du parti qui le portera au pouvoir en 2010 mais aussi grâce au soutien politique de son ancien rival.
A l'issue de deux mandats consacrés au repositionnement diplomatique et économique de la Côte d'Ivoire, il décide de ne pas se porter candidat à un 3è mandat. Il désigne celui qu'il appelle affectueusement son "fils", "son plus proche collaborateur" au cours de ces trente dernières années. Cette décision ne fera pas l'unanimité et va susciter le départ de certains de ses cadres. Malheureusement, le dauphin politique passe de vie à trépas le 8 juillet dernier, plongeant l'ensemble de la classe politique dans la consternation. La multiplicité des appels des différentes instances de son parti pourrait l'amener à céder à la tentation d'un 3è mandat en dépit d'une crise politique qui pourrait en découler. Mais l'objectif restera le même que celui de ses prédécesseurs: honorer la mémoire de ce fils parti de façon inattendue.
En clair, la "nouvelle génération" devrait attendre encore le temps que les "papes" de la politique ivoirienne restaurent ou préservent leurs dignité et honneur.
En fait:
"Il n'y a pas de hasard, tout est écrit", Paolo Coelho, Maktub

samedi 11 juillet 2020

Décès brutal du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly: Qui pour lui succéder comme candidat du RHDP à l'élection d'octobre 2020?



Revenu en Côte d’Ivoire après un séjour médical de deux mois passé en France, Amadou Gon  Coulibaly a tiré sa révérence le 8 juillet dernier, lors du traditionnel conseil des ministres.

De nombreux hommages en provenance du monde entier pour honorer la mémoire d’un homme qui a occupé l'espace politique et médiatique depuis près d’une dizaine d’années aux côtés de son mentor, Alassane Ouattara. La disparition brutale d’Amadou Gon Coulibaly émeut l’ensemble des populations ivoiriennes et même toute classe politique ivoirienne. Candidat désigné par Alassane Ouattara en vue de porter la candidature du RHDP à l'élection présidentielle d'octobre 2020, AGC, comme aimaient l’appeler ses partisans, est décédé après un malaise survenu au cours du Conseil des ministres du mercredi 8 juillet 2020. La santé fragile d'Amadou Gon Coulibaly était quasiment sue de tous. L'homme a été transplanté du cœur en 2012. Elle s'est dégradée ces dernières semaines. Les ivoiriens se souviennent encore de son évacuation précipitée en France, le 2 mai 2020, en dépit de la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays en raison de la pandémie de la Covid 19.

  • Qui était AGC et quelle était la qualité de ses rapports avec le Président  Alassane Ouattara?

Le Premier Ministre, Amadou Gon COULIBALY, était Diplômé du Centre de Hautes Etudes de la Construction (CHEC) de Paris (1983). Après ses études supérieures en France, il retourne en Côte d'Ivoire. Il intègre plus tard l'administration publique et y occupe des fonctions importantes. Il a occupé successivement les fonctions de Directeur des études économiques et financières à la Direction du Contrôle des Grands Travaux (DCGTX), avant d’en être le Directeur Général adjoint (1994-1995). Dans la même période, il fait la connaissance d'Alassane Ouattara. Amadou Gon Coulibaly devient son Conseiller Technique chargé de la coordination et du suivi, alors qu'il est  Premier Ministre, de novembre 1990 à décembre 1993. Depuis cette période, les deux hommes se lieront d'une amitié exceptionnelle et ne se quitteront plus comme si leurs destins étaient liés. Tous les deux, soutenus par d'autres cadres issus pour la plupart du nord du pays et du PDCI contribueront à l'implantation du Rassemblement des républicains (RDR) après la disparition de Djeni Kobina, son fondateur. 

Pour Alassane Ouattara, Amadou Gon Coulibaly a été son plus proche collaborateurs au cours des trente dernières années.

Saluant sa mémoire dans le communiqué de la présidence de la république annonçant le décès de l'homme, le président Alassane Ouattara n'a pas manqué de le présenter comme son "jeune frère" son "fils" qui a été, pendant trente ans, son "plus proche collaborateur". Amadou Gon Coulibaly a occupé également  le poste de ministre de l'agriculture, lors du passage de Laurent Gbagbo à la tête du pays. Il est reconnu par ses proches comme un homme rigoureux, un travailleur chevronné ayant un sens élevé de la responsabilité et de l'excellence.

  • Qui pour succéder à Amadou Gon Coulibaly au RHDP?

La disparition brutale d'Amadou Gon Coulibaly ouvre une petite ère d'incertitude au RHDP. Conformément à sa volonté de léguer la Côte d'Ivoire à une génération plus jeune que la sienne, Alassane Ouattara désigne Amadou Gon Coulibaly comme le candidat du RHDP, et par ricochet son dauphin politique. Certes le nom d'Amadou Gon Coulibaly était évoqué depuis plusieurs mois avant sa désignation, mais il ne faisait pas l'unanimité au sein de parti. 

Alassane Ouattara désigne Amadou Gon Coulibaly comme le candidat du RHDP au cours d'un congrès tenu en mars 2020.

Des voix discordantes, notamment celles de Marcel Amon Tanoh et Albert Mabri Toikeusse ont marqué leur désapprobation face à ce choix unilatéral d'Alassane Ouattara en lieu et place d'une primaire. Marcel Amon Tanoh dont les ambitions présidentielles ne sont plus un secret quitte le parti. Quant au leader de l'UDPCI, il n'est pas reconduit dans l'équipe gouvernementale formée plus tard. Toutefois, la plupart des cadres du RDR et ceux issus du PDCI qui ont rejoint Alassane Ouattara au RHDP se sont engagés à faire bloc autour du successeur désigné. Il ne faut pas oublier que cette question de succession et d'adhésion au RHDP a valu à Guillaume Soro, sa démission de la présidence de l'Assemblée nationale.

Bien que le RHDP ne manque pas de cadres compétents pour succéder à l'illustre disparu, cette disparition brutale d'Amadou Gon Coulibaly ouvre une ère d'incertitude et de doute dans ce parti, à environ quatre mois du scrutin présidentiel d'octobre 2020. Les cadres du parti essaient d'être rassurants. Toutes les options seraient étudiées. Certains noms sont déjà évoqués notamment celui d'Hamed Bakayoko, l'actuel ministre de la défense. Il a assuré  l'intérim de Gon Coulibaly durant sa convalescence en France. Il jouit d'une grande popularité auprès des militants du RHDP et bénéficie de la confiance du président Alassane Ouattara. Il a été l'un des artisans du retour de la sécurité et de la stabilité en Côte d'Ivoire après la grave crise post-électorale que le pays a connue. Mais cette confiance suffira-t-elle pour lui confier les rênes du parti?

Hamed Bakayoko et Patrick Achi sont deux personnages proches d'Alassane Ouattara qui bénéficient de sa confiance.

Un autre nom est également évoqué: Patrick Achi. Actuel secrétaire de la Présidence,  il est originaire du sud de la Côte d'Ivoire. Cadre brillant, il a intégré le Gouvernement sous l'ère Gbagbo et ne l'a plus vraiment quitté. Ancien cadre du PDCI, Patrick Achi jouit d'une belle estime auprès d'Alassane Ouattara. Il est connu pour être une personnalité peu charismatique mais modérée et surtout un technocrate. Cependant, il est lésé par la configuration géopolitique ivoirienne où les principaux leaders politiques sont à la tête d'entités qui ont pour ancrage les principaux groupes ethniques et les régions dont ils sont originaires. Son leadership et sa légitimité pourraient être mis à mal par la base du RHDP et certains cadres essentiellement issus du nord du pays.

La troisième option qui , semble plus plausible, est le retour d'Alassane Ouattara dans l'arène politique. Plusieurs responsables sont favorables à une 3è candidature du chef de l'Etat  d'autant que le parti ne s'était pas préparé à ce drame. De plus, aucune figure politique charismatique susceptible de fédérer toutes les sensibilités autour d'elle  n'émerge suffisamment pour porter la candidature du RHDP à la prochaine élection.  Alassane Ouattara pourrait donc céder sous la pression des partisans favorables à cette option et envisager barrer la route à son ancien allié, Henri Konan Bédié. Celui-ci, du haut de ses 86 ans pourrait tirer profit des problèmes judiciaires de Laurent Gbagbo et bénéficier des suffrages de son électorat. En clair, le président sortant est confronté à un grand dilemme: participer à cette élection en prenant le risque de susciter de nouvelles violences voire une nouvelle crise ou se retirer au profit d'un jeune cadre avec les risques de perdre le pouvoir d'état?


NB: Nous ne sommes pas l'auteur des images qui illustrent cette contribution.


jeudi 12 septembre 2019



LA RÉSILIENCE DE LA COTE D'IVOIRE A L’ÉPREUVE DU PROCESSUS ÉLECTORAL DE 2020




Les échéances électorales ivoiriennes de 2020 éprouveront une nouvelle fois la maturité démocratique de la Côte d’Ivoire. Après la violente crise électorale de 2010-2011 et les violences qui ont marqué les élections locales de 2018, les ivoiriens seront appelés aux urnes pour élire leur nouveau président-e de la République dans quelques mois. Mais l'on peut s'interroger déjà sur la résilience de ce pays et les éléments qui permettront de l'évaluer. 

L’inscription massive des potentiels électeurs (jeunes et femmes) sur la liste électorale
La Côte d’Ivoire compte près de deux tiers (2/3) de sa population qui est jeune et a moins de 35 ans, soit 77% selon les statistiques officielles délivrées à l’issue du Recensement Général de la Population et de l'Habitat de 2014. Cependant, force est de constater que les populations ivoiriennes, plus spécifiquement les jeunes et les femmes, sont de moins en moins nombreuses à s’inscrire sur le fichier électoral. A preuve, en 2016, la Commission Électorale Indépendante (CEI)[1] affirmait que seulement 11,4% des jeunes de 18 à 24 ans se sont fait enrôler sur le listing électoral composé de 6.318.311 inscrits. 

Plusieurs facteurs justifient ce faible taux d’inscription. Celui-ci s’explique notamment par les difficultés/obstacles lié-e-s à l’accès aux documents administratifs nécessaires à l’inscription et aussi à la désaffection pour la chose politique. Cette désaffection peut être liée aux violences survenues en Côte d’Ivoire à l’occasion de la crise post-électorale de 2010-2011. Très disputées, les élections locales de 2018, présentées tel un test avant l'élection présidentielle de 2020, ont été marquées par des violences avec perte en vie humaine (5 morts).

Par conséquent, l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques, dont les organisations de la société civile devraient entreprendre des initiatives de sensibilisation et de formation. Celles devraient encourager l’inscription massive de ces électeurs potentiels et leur participation effective au processus électoral. La réussite de ce challenge garantirait un processus électoral inclusif et participatif. Elle contribuerait surtout à renforcer la légitimité des acteurs élus à l'issue de ces élections. 

L’exercice des libertés fondamentales et des droits politiques associés aux élections
Les élections sont un prétexte et un indicateur pour apprécier la dynamique démocratique dans un pays. La Côte d’Ivoire n'y échappera certainement pas. A 13 mois des échéances électorales de 2020, les alliances politiques se forment ou se défont. Les différents états majors politiques affûtent leurs "armes" et peaufinent leurs stratégies. Le RHDP, la coalition au pouvoir, resserre les rangs avec la mise en place du dernier gouvernement du 1er Ministre Amadou Gon Coulibaly. Même si le nombre de 50 ministres est critiqué, l'on sait que l'équipe nommée par le président Alassane Ouattara est un commando de fidèles mis en mission pour conserver le pouvoir acquis après plus de deux décennies de lutte politique. 

Mais la résilience socio-politique de la Côte d'Ivoire va surtout se mesurer à l'aune de l'exercice des libertés fondamentales et des droits politiques liés aux élections. La rupture du RDR d'Alassane Ouattara d'avec le PDCI d'Henri Konan Bédié et le débauchage des cadres de l'ex parti unique par la coalition d'Alassane Ouattara favorise le rapprochement du sphynx de Daoukro avec l'ex locataire de la prison de Sheveninghen (Laurent Gbagbo) et l'aile dure du FPI qu'il dirige par personne interposée. 

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Les principaux acteurs politiques ivoiriens. De la gauche vers la droite: Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Guillaume Soro
                                  
Désormais le PDCI et le FPI n'excluent pas des manifestations politiques pour mutualiser leurs efforts et sceller le sort du RHDP en 2020. Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié ont été rejoints dans l'opposition politique par Guillaume Soro. Celui-ci n'avait pas marqué son adhésion au RHDP d'Alassane Ouattara. Ce qui lui a valu de quitter la tête de l'Assemblée nationale, l'une des chambre du parlement ivoirien au profit d'Amadou Soumahoro, l'un des farouches défenseurs du président en exercice.  

Mais une question demeure : tous les groupements politiques ivoiriens pourront-ils tenir des activités sur toute l'étendue du territoire sans qu'il y ait des obstacles ou d'entraves à leurs rassemblements politiques? Les prochains mois permettront de répondre à cette question. Ce facteur reste tout aussi important pour garantir des élections apaisées dans un climat socio-politique rassurant.


L’intégrité de l’institution en charge de l’organisation des élections
La Commission électorale indépendante, institution en charge de l’organisation des élections en Côte d’Ivoire, représente un enjeu majeur dans le cadre du prochain processus électoral. Pointée du doigt lors de la crise post-électorale de 2010-2011, la CEI sera de nouveau au centre de toutes les attentions des acteurs. 

En janvier 2019, le gouvernement ivoirien a initié des discussions avec des acteurs politiques et des organisations de la société civile en vue de créer un consensus autour de cette institution et donner suite aux recommandations de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. Le président Alassane Ouattara a promulgué sous le N° 2019-908 du 05 août 2019, la loi portant recomposition de la commission électorale Indépendante;laquelle loi a été publiée au Journal Officiel du 06 août 2019. La nouvelle CEI compte 15 membres contre 17 pour la précédente. Mais la configuration de cette nouvelle institution qui enregistre l'augmentation de personnalités issues de la Société Civile est décriée par les organisations[2] de la société civile elles-mêmes et par les partis de l'opposition politique qui ont relevé une recomposition de l'organe plutôt que sa réforme.

Mais l'attention devrait être davantage portée sur la composition des CEI locales. Celles-ci comptent 3 représentants de la coalition au pouvoir, 3 représentants de l'opposition et une personnalité proposée par les autorités préfectorales. La prédominance des acteurs politiques au sein de ces commissions locales pourrait raviver les tensions et mettre à mal leur fonctionnement. Cependant, le moins que l'on puisse dire est les attentes au sujet de cette institutions sont nombreuses notamment pour ce qui concerne le consensus autour de ses animateurs et sa transparence dans la gestion proprement dite du processus (la révision de la liste électorale, la compilation des données collectées sur le terrain, la proclamation des résultats, etc.). L'intégrité et la transparence de cet organe restent déterminantes pour la prévention d'un éventuel conflit lié à la gestion du processus électoral.

Ce sont autant d'éléments qui permettront de jauger la résilience de ce pays considéré comme la locomotive de l'espace UMOA et de la CEDEAO, derrière le géant nigerian.


mardi 3 avril 2018

UNE VIE APRES LA FONCTION PRESIDENTIELLE EN AFRIQUE (I)


UNE VIE APRES LA FONCTION PRESIDENTIELLE  EN AFRIQUE (I)

Les dirigeants des pays africains sont souvent l’objet de critiques acerbes du fait du non-respect des règles démocratiques. Pourtant ces trois dernières décennies, le continent a fait  des progrès significatifs en matière d’alternance politique démocratique et pacifique. En effet, plusieurs figures politiques et ex chefs d’Etat ont permis à leurs pays de faire des bonds qualitatifs, et ce à travers le respect des prescriptions constitutionnelles notamment le nombre de mandats prévus par la Loi fondamentale ou encore le respect du verdict des urnes.
Les acteurs politiques qui ont fait l’objet des articles à venir s’accordent à montrer qu’il existe une vie , voire une carrière après la fonction présidentielle en Afrique.

Cet article, le premier d’une petite série, propose quelques exemples d’ex chefs d’Etat qui, par leur maturité politique, ont envisagé leur retrait de la scène politique conformément aux lois nationales. Somme toute, ces initiatives ont contribué au renforcement des acquis démocratiques et de la stabilité socio-politique de leurs pays respectifs.


Pedro Pires du Cap Vert :

La République du Cap Vert est un petit archipel situé en Afrique de l’Ouest. Avec sa superficie de 4000 km², le pays accède à l’indépendance en 1975. Depuis lors, il a connu quatre (4) présidents : Aristides Pereira, le président fondateur qui se retire après sa défaite aux premières élections démocratiques en 1990 ; Antonio Monteiro (1991-2001), Pedro Pires (2001-2011) et Jorge Fonseca, depuis 2011.

Des anciens présidents, Pedro Pires reste le plus en vue sur la scène internationale en dépit de son retrait de la vie politique du Cap Vert. Grand-collier de l’ordre de l’Infant Dom Henrique du Portugal (2002) et Lauréat du Prix Mo Ibrahim en 2011, Pedro Pires a fait partie du panel des Chefs d’Etats formé par l’Union Africaine pour tenter une médiation et trouver un dénouement pacifique à la crise post-électorale ivoirienne de 2010-2011 ; laquelle crise opposait, à l’époque, Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara.

Pedro Pires, président du Cap Vert de 2001 à 2011.


En outre, Pedro Pires a observé la récente élection présidentielle angolaise. Celle-ci a porté en 2017 Joao Lourenço, le successeur désigné d’Eduardo Dos Santos, au pouvoir d’Etat. A côté de ce type de missions, ce personnage de 83 ans continue d’animer des conférences à travers le monde. Engagé dans l’éducation et la formation, il a créé un institut sur le leadership qui contribue à la formation de la jeune intelligentsia cap-verdienne.


Le Ghana et son cercle d’ex présidents:

Tout comme le Cap Vert, le Ghana s’impose aujourd’hui comme l’un des meilleurs élèves de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Les acteurs politiques ghanéens qui ont exercé la fonction suprême se rencontrent souvent. Cette démarche s’inscrit notamment dans la perspective d’inculquer et de renforcer la culture démocratique chez leurs concitoyens.

Mais les ex présidents ghanéens ne chôment pas du tout. Jerry Rawlings qui a dirigé le pays entre 1981 et 2001 a été, par exemple,  l’envoyé spécial de l’Union Africaine en Somalie en 2010. Toutefois, sa retraite politique ne l’empêche pas de porter des critiques à l’encontre des pouvoirs qui se sont succédé à la tête du Ghana ces dernières années. Quant à John Kufuor, il a été président de 2001 à 2009. Depuis 2013, il occupe le poste d’envoyé spécial des Nations Unies pour le changement climatique en dépit du poids de l’âge (78 ans) et de sa santé fragile.


Le président Faure Gnassingbé salue les anciens présidents ghanéens à l’occasion des festivités marquant le 60è anniversaire du Ghana, le 6 mars 2017.
John Mahama Dramani est le plus jeune des ex présidents ghanéens avec ses 58 ans. Il a conduit une mission d’observation des pays du Commonwealth lors de l’élection présidentielle kényane d’août 2017. Il conduira également une autre mission d’observation pour le compte de la CEDEAO au Liberia en vue de superviser les dernières élections présidentielles. L’échéance électorale de 2020 pourrait changer la donne à son niveau, si les cadres de son parti veulent encore lui en confier les rênes.

L’ex guerillero Joaquim Chissano du Mozambique :

Cet ancien guerillero a lutté aux côtés du Frelimo pour l’indépendance du Mozambique en 1975. Il devient l’une des figures de proue du Frelimo après l’indépendance de son pays le 25 juin 1975. A l’issue de l’assassinat du président Samora Machel, il fait partie du comité central mis en place pour assurer l’intérim du défunt président à la tête de l’Etat. Joaquim Chissano se retire de la scène politique de son pays par son refus de se représenter aux élections de 2004. Depuis lors, il met ses compétences au service aux institutions internationales et régionales. En octobre 2005, il est nommé conseiller à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Il s’engage en faveur de la paix dans le monde aux côtés de la Fondation Chirac où il est membre du comité d’honneur.




Joaquim Chissano, un retraité bien occupé,  tiraillé entre les conférences internationales et les missions d’observation électorale sur le continent.

Il dirige également la Fondation Chissano qui initie des projets de développement pour les populations inscrites dans la dynamique de la réconciliation et de la construction post-crise. Joaquim Chissano anime des conférences ou dirige des missions d’observation électorale pour le compte de l’Union Africaine. C’en était le cas lors de l’élection qui a porté Joao Lourenço au pouvoir en Angola, en 2017. 

 

 

jeudi 14 décembre 2017

LA PRESSE IVOIRIENNE, … UN FREIN AU  RENFORCEMENT DE LA DEMOCRATIE ET A LA COHESION SOCIALE?






Depuis plusieurs années, les performances démocratiques des Etats se mesurent notamment à l’aune de la ratification et de l'application, par ces Etats, des instruments internationaux de protection et de promotion des droits humains.  Au nombre de ces droits,  figure en pole position la liberté d’expression et de pensée qui fait partie des droits les plus fondamentaux des individus et propices au fonctionnement des associations et groupements politiques. 

En Afrique, la transition tumultueuse des jeunes Etats, de la pensée unique au pluralisme, a été fortement caractérisée par la floraison de partis politiques d’opposition. Ce pluralisme politique a favorisé la création de nombreux organes de presse écrite. Touchée également par cette mutation politique impulsée par le discours de la Baule de François Mitterrand, le 20 juin 1990 , la Côte d’ivoire a vu son espace médiatique connaître  un bouleversement avec une profusion exceptionnelle d’organes de presse écrite. Malheureusement, plutôt que cette profusion contribue à renforcer le processus démocratique, elle a favorisé la fragilisation du dit processus. 

Depuis 1990, année marquant le retour du multipartisme en Côte d’ivoire, une vue globale de la presse écrite laisse transparaître un tableau à trois niveaux. A un premier niveau, l’on retrouve la presse proche des formations politiques au pouvoir. A un second et un troisième niveau, l’on retrouve respectivement les organes proches des formations de l’opposition politique et un groupuscule d’organes jouant la carte de l’indépendance. Cette troisième catégorie essaie d’exister dans un contexte socio-politique qui exige un positionnement : être pro Mamadou ou anti Bineta.

À l’analyse, pour assurer leur pérennité, la plupart des quotidiens sont tenus d’être partisans. Ils ont une écriture qui se résume en ceci : le culte de la personnalité du leader politique et la propagande politique. Les deux premières catégories d’organes de presse relevés plus haut proposent aux lecteurs des articles qui célèbrent, déifient régulièrement les leaders politiques, leurs actions sur le terrain. Ils rendent compte de la vitalité de leurs formations sur le terrain aussi bien dans les zones urbaines que rurales. Ils constituent également des canaux d’information par le truchement desquels les différentes obédiences politiques véhiculent des mots d’ordre et autres consignes destinés à leurs sympathisants et militants. 

En outre, les organes de presse partisans constituent des tribunes servant parfois à vitrioler les formations politiques rivales. Le danger que représente la presse écrite commence à ce niveau. Certes la culture démocratique admet le débat contradictoire, mais elle ne saurait s’accomoder de discours qui contribueraient à accentuer les clivages sociaux. Le contexte ivoirien est à la fois singulier et délicat. Pour un Etat résilient comme la Côte d’ivoire qui sort d’une décennie de crise profonde, la pluralité des opinions des intellectuels et acteurs politiques quel qu’en soient leurs bords aurait dû favoriser un diagnostic des causes de la récente crise. Les différentes contributions intellectuelles auraient dû oeuvrer au renforcement des acquis démocratiques ou à la restauration des fondamentaux ébranlés par ladite crise. Mieux, elles devraient aider à la reconstitution du tissu social effrité depuis.

Pourtant, la réalité contraste avec cet idéal. La majorité des organes de presse écrite se fait l’écho de discours clivants, accentuant davantage la fracture sociale. Elle a eu une part de responsabilité importante dans les violences post-électorales de 2010-2011. Les différentes couches sociales ont été littéralement dressées les unes contre les autres du fait des parutions journalistiques tendancieuses. Ces mêmes risques se profilent à l’horizon et pourraient prendre des proportions plus importantes à l’approche des échéances électorales de 2020 et au regard des enjeux  de ce nouveau cycle électoral.

Les organes de régulation mis en place par l’Etat (le Conseil national de presse) et les acteurs de la presse écrite eux-mêmes (OLPED, GEPCI,etc.) semblent débordés par la kyrielle d’infractions régulières aux règles d’éthique et de déontologie régissant la fonction journalistique et ce, malgré les formations faites à l’endroit des journalistes. Ce qui amène à dire que le problème est ailleurs. Il n’est pas lié au déficit de formation des journalistes. En réalité, la presse écrite pourrait présenter un meilleur visage si les organes de presse écrite étaient dotés de moyens financiers et matériels substantiels susceptibles de leur assurer une réelle autonomie, puis de s’affranchir des chapelles politiques. Les résultats seraient meilleurs également avec une revalorisation du métier surtout en termes d’amélioration des conditions de travail et de vie.  Ces différentes mesures permettraient à la presse écrite de renouer avec sa vocation cardinale : informer et former son lectorat. Ces mesures permettraient surtout à la presse écrite de constituer un espace de discussions intelligentes et constructives où des sachants ou des érudits politques pourraient s’adonner allègrement aux joutes verbales constructives et argumentatives. La presse ivoirienne prendrait ainsi toute sa place dans la construction et l’enracinement de la démocratie en Côte d’ivoire.

Au moment où les élections de 2020 approchent à grands pas, les populations ivoiriennes attendent, dans leur ensemble, des débats contradictoires et des discussions qui accorderont une place de choix à leurs préoccupations existentielles les plus fondamentales : le coût de la vie, la sécurité, l’éducation, la santé, etc. 

L’Etat et les responsables des différents organes de presse écrite devraient à leur tour manifester cette volonté réelle de voir ce pan du "quatrième pouvoir" arpenter d’une façon résolue la voie du professionnalisme et de la responsabilité.


















vendredi 25 août 2017

LA PROBLEMATIQUE DE L'IMMIGRATION CLANDESTINE EN AFRIQUE.

LA PROBLEMATIQUE DE L’IMMIGRATION CLANDESTINE EN AFRIQUE.



Depuis plusieurs années, le phénomène de l’immigration irrégulière ou clandestine fait la "Une" des médias internationaux et ceux du continent africain. Aucune semaine ne passe sans que les chaînes de télévision et de radio n’évoquent le naufrage d’embarcations de fortune dans la mer Méditerranée, au large des côtes libyennes et italiennes ou des corps sans vie de migrants retrouvés dans le désert nigérien ou libyen. En Afrique, ce sont l’Afrique de l’ouest, le Maghreb (Libye, Tunisie) et la corne de l’Afrique (Somalie, Erythrée, Ethiopie) qui sont fortement affectés par l’immigration irrégulière. De nombreuses raisons sont avancées pour expliquer le phénomène. Hormis l'asile évoquée par de nombreux migrants en raison des menaces pesant sur leurs vies dans leurs pays d'origine, certaines causes méritent d'être un peu plus explicitées.

 
LES CAUSES CLIMATIQUES ET L’INSECURITE ALIMENTAIRE.
L’Afrique est frappée de plein fouet par les conséquences dramatiques du changement climatique. Ces dernières années, les climatologues ont observé d'inquiétantes perturbations au niveau des saisons. La baisse drastique de la pluviométrie justifie d’ailleurs la sécheresse aigue qui touche la corne de l’Afrique et d’autres régions du continent dont le Sahel. Elle accentue la malnutrition des enfants qui en constituent les premières victimes, puis cause la destruction des troupeaux. Les statistiques fournies par les experts sont bien alarmantes : « À l’heure actuelle, quelques 240 millions d’Africains souffrent déjà de la faim. D’ici 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 à 1,9 degré Celsius environ pour accroître d’entre 25 et 95% le nombre d’Africains sous-alimentés (+ 25% en Afrique centrale, + 50% en Afrique de l’Est, + 85% en Afrique australe et + 95% en Afrique de l’Ouest »)[1]



Illustration de l’ampleur de la sécheresse qui frappe de façon très sévère et courante la corne de l’Afrique (Photo d’archive)

Mais les effets des bouleversements climatiques motivent d’ores et déjà l’exode des populations de cette contrée vers les pays voisins, le Kenya notamment où les conditions  climatiques sont un peu plus clémentes. Certaines privilégient le risque de traverser le  désert, puis la Méditerranée avec l’espoir d’une vie meilleure pour elles-mêmes et leurs familles restées en Afrique. Pourtant, de nombreuses familles composées essentiellement de femmes et d’enfants meurent lors de ce périple.


L’INSTABILITE SOCIO POLITIQUE ET SECURITAIRE.

L’instabilité socio-politique de nombreux pays du continent fait partie des causes de l’essor de l’immigration irrégulière. En effet, les jeunes Etats africains sont bien souvent fragilisés par les crises socio-politiques cycliques consécutives à des processus électoraux contestés ou des transitions politiques chaotiques.  


En Afrique subsaharienne, certains pays comme le Ghana, le Sénégal et le Bénin représentent des exemples pertinents qui ont su exorciser ce sort tragique commun à plusieurs pays de la sous région ouest africaine. Depuis un peu plus d’une décennie, les échéances électorales se déroulent dans la plupart des cas dans des conditions pacifiques et transparentes. Ce qui contribue à l’ancrage des acquis démocratiques et à renforcer leur stabilité socio-politique.

C’est le revers de la médaille dans certains pays résilients comme la Côte d’ivoire. En effet, la paupérisation, le chômage, consécutifs à plus d’une décennie de crise politico-militaire conduisent de nombreux jeunes ivoiriens à quitter leur pays pour l’Europe. Mais l’argument de la pauvreté est battu en brèche par les autorités ivoiriennes. Pour elles, cet argument est peu convaincant d’autant que les migrants peuvent débourser plus de 2000 euros pour  leurs périples périlleux. Il n’empêche que l’ambition d’améliorer leurs conditions de vie précaires motive beaucoup de jeunes à prendre le chemin du désert sahélien ou des eaux tumultueuses de la Méditerranée. A ce niveau également, les chiffres de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) à Abidjan indiquent que « près de 12 000 Ivoiriens se trouvaient en 2016 en Libye, pays devenu l’un des principaux points de passage vers l’Europe pour les migrants d’Afrique sub-saharienne ».[2]

En clair, il apparaît  qu’en dépit de son économie dynamique dont la croissance flirte avec les 10 %, la Côte d’ivoire pourvoit, en grand nombre, des candidats à l’immigration irrégulière. Il importe ici de s’interroger sur l’efficacité de la redistribution des richesses générées par l’embellie économique. Ces chiffres de l'OIM devraient amener l'Etat ivoirien à l'élaboration d'une politique qui impacterait davantage les conditions de vie de ses populations, et freinerait, par ricochet, le départ de ses jeunes pour un El dorado illusoire.



Retour de plusieurs jeunes ivoiriens de la Libye, pays de passage pour de nombreux migrants subsahariens avant de rejoindre les côtes européennes.

En outre, le contexte socio-politique post crise présente une résilience bien complexe. A l’approche des échéances électorales de 2020, les discours des élites politiques, le jeu des alliances et ruptures politiques, les menaces à peine voilées et par médias interposés incitent de nombreux jeunes à quitter la Côte d’ivoire. Pour eux, certes, l’avenir du pays est prometteur, cependant, les enjeux du scrutin de 2020 feraient craindre une résurgence du conflit ou à tout le moins des violences électorales et post-électorales. Si certains optent pour l’immigration irrégulière, d’autres, plus prudents, voudraient se donner les chances de réussir leurs études et se  construire une meilleure carrière professionnelle en s’installant dans des pays reconnus pour leur stabilité socio-politique (Bénin, Ghana, Maroc, Sénégal, etc.).

En outre, les pays africains sont confrontés à d’énormes défis d’ordre sécuritaire. Abonnés aux guerres civiles fratricides et autres rébellions armées habituelles qui les ont généralement fragilisés, ils font face, désormais, à une nouvelle forme de conflit. Il s’agit de la guerre asymétrique que leur imposent les organisations terroristes. L’Afrique subsaharienne apparait comme l’un des terreaux fertiles pour les activités des nébuleuses Al Quaida au Maghreb Islamique (AQMI) et l’Etat Islamique (EI) et leurs ramifications. Les pays dont les populations sont les plus affectées sont ceux de la bande sahélienne (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad) et certains pays qui leur sont voisins tels que le Burkina Faso et le Nigeria.

La lutte contre Boko Haram dans le nord du Nigeria ou contre AQMI et ses nombreuses organisations affiliées dans le nord du Mali n’épargnent aucunement les populations civiles. L’insécurité ambiante dans ces différentes zones engendre un exode des populations civiles. Les occidentaux qui s'aventurent dans ces zones de non droit s'exposent à des rapts. Le trafic d’êtres humains prospèrent également dans la zone et les premières victimes sont les candidats à l'immigration clandestine. 

Nonobstant tous ces dangers, le Nigeria bat un triste record. Il occupe le premier rang du peloton de tête des dix premières nationalités des migrants arrivés en Italie entre janvier et novembre 2016. Ici également, les chiffres de l’Organisation internationale des migrations sont alarmants. Les Nigérians ont constitué 21 % des entrants, suivis par les Erythréens (11,7 %), et des Guinéens (7,2 %)[3].

Face à l’ampleur du phénomène, les Etats européens et africains ont intérêt à définir une stratégie commune afin d’y trouver des solutions durables.



COTE D'IVOIRE: UNE ELECTION PRESIDENTIELLE SUR FOND DE TENSIONS POLITIQUES ET COMMUNAUTAIRES

  A l’instar de plusieurs pays africains, la Côte d'Ivoire entame un nouveau cycle électoral. Celui-ci commence par l’élection la plus...