mercredi 24 mai 2017

RECENTES MUTINERIES DE L'ARMEE: DOIT-ON CRAINDRE LE PIRE POUR LA COTE D'IVOIRE?

RECENTES MUTINERIES DE L’ARMEE : DOIT-ON CRAINDRE LE PIRE POUR LA COTE D’IVOIRE ?

La Côte d’ivoire et ses populations ont retenu leur souffle après 4 jours de mutinerie menée par des soldats des Forces Armées de Côte d'ivoire, plus spécifiquement le contingent des 8400 soldats issus de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles. Ces soldats ont revendiqué le reliquat des primes qu’ils avaient réclamées à l’Etat ivoirien au mois de janvier 2017. Nous vous proposons une analyse succincte de cette situation qui a fait craindre le pire pour la Côte d’ivoire.

La troisième République appelée de tous ces vœux par le Chef de l’Etat ivoirien, SEM Alassane Ouattara et ses alliés politiques, connaît un début tumultueux et ses premiers balbutiements. Mais le numéro 1 de l’Exécutif ivoirien n’est pas confronté à sa première mutinerie. Déjà le 18 novembre 2014, des militaires avaient manifesté bruyamment à l’effet de revendiquer de meilleures conditions de travail et le paiement d'arriérés de solde. Ce mouvement d’humeur s’est propagé comme une trainée de poudre dans une action coordonnée, et savamment menée par les militaires issus de l’ex-rébellion. Ceux-ci réclamaient notamment la revalorisation de leurs salaires et la révision de la période d’avancement relativement aux grades.

Ce mouvement d’humeur militaire de novembre 2014 avait occasionné la paralysie des activités socio-économiques sur toute l’étendue du territoire ivoirien. A cette époque, le gouvernement avait pris la mesure des griefs exposés par les hommes en armes réclamant les arriérés qui couraient depuis 2009. Le Ministre d’Etat Ahmed Bakayoko avait même rassuré les mutins sur les antennes de la Radiodiffusion et télévision ivoirienne (RTI) en leur signifiant que « le président (Alassane Ouattara) n'était pas très content de savoir que cette question qui était prévue par les accords de Ouaga depuis 2009 n'avait pas été traitée et exécutée. Donc, ce que je veux dire aux jeunes (les mutins), vous vous êtes exprimés, vous avez parlé, le président a compris, il a donné des instructions au gouvernement pour régler votre problème. »[1]Les discussions autour des modalités d’exécution de ces mesures avaient ramené le calme dans les casernes.

Au grand dam  des populations civiles et des opérateurs économiques, les fusils ont crépité et les armes ont tonné de nouveau en janvier 2017. Les 7 et 8 janvier derniers, des tirs sporadiques appuyés parfois de tirs à l'arme lourde ont suscité l'épouvante chez les populations de la ville Bouaké, contraignant commerces, administration publique, banques et autres entreprises privées à fermer. Cette mutinerie dont Bouaké était l’épicentre s’est étendue à plusieurs villes du pays (Daloa, Daoukro, Korogho, etc.). La résolution de cette nouvelle crise avait motivé le déplacement à Bouaké du ministre de la défense, M. Alain Richard Donwahi et de quelques officiers des forces armées de Côte d’ivoire et figures illustres et influentes de l’ex rébellion notamment Issiaka Ouattara alias Wattao et Cherif Ousmane.

M. Issiaka Ouattara, Commandant de la Garde Républicaine, assis aux côtés de M. Alain Richard Donwahi, Ministre de la Défense de Côte d’ivoire.

Les échanges houleux entre la délégation gouvernementale et les représentants des mutins ont débouché sur un accord dont la teneur n’a pas été révélée aux ivoiriens, même si certaines indiscrétions et certains organes de presse évoquaient la promesse de paiement de primes de 12 millions de FCFA à chacun des soldats membre du contingent des 8400 soldats des ex Forces Nouvelles ayant intégré l’armée ivoirienne. Il est important de rappeler que ce mouvement d’humeur avait engendré le limogeage du Chef d’Etat-major général de l’armée, des généraux à la tête de la police et de la gendarmerie. Les Forces Spéciales, unité d’élite créée par le président Alassane Ouattara, à l’issue de la crise de 2010-2011, avaient emboité le pas à leurs homologues le 7 février 2017. 

Au moment où les ivoiriens espéraient qu’une solution définitive avait été trouvée à ces protestations répétitives, le "contingent des 8400" soldats a remis le couvert entre le 12 au 15 Mai. Cette nouvelle mutinerie qui aura une fois de plus pour épicentre la ville symbolique de Bouaké s’étendra à de nombreuses villes du pays.



Des soldats ivoiriens dans une rue d’Abidjan pendant la mutinerie de Mai 2017.

Cette fois, les soldats mutinés ont réclamé la suite des primes dont ils avaient d’ores et déjà perçu une avance de 5 millions à l’occasion de la mutinerie de janvier 2017. Ce mouvement sera plus long que les mutineries antérieures d’autant que le gouvernement mettra 4 jours avant de trouver un accord avec les soldats protestataires. 

Au regard de cette situation, doit-on craindre le pire pour la Côte d’ivoire? Quelles peuvent être les conséquences de cette situation à court et à moyen terme pour la Côte d’ivoire ?

Ces mouvements d’humeur intermittents des 8400 militaires ont démontré que la situation sécuritaire de la Côte d’ivoire est encore fragile, et peut être volatile. Ces mouvements  ont surtout démontré que cette armée ivoirienne formée et refondée après la décennie de crise est encore loin de répondre aux attentes des populations et des gouvernants. C’est une armée hétérogène qui, pour ce qu’elle a présenté jusqu’ici, semble ne pas avoir encore cerné les notions et valeurs cardinales qui fondent cet appareil de l’Etat. Les notions de discipline, du respect de la hiérarchie et de l’autorité, et surtout la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt particulier restent délibérément marginalisées par les hommes en arme.

Le président Alassane Ouattara et le gouvernement ivoirien sont sortis affaiblis de cette crise. Eux qui avaient prôné la fermeté face aux mutins ont dû se raviser. Cette attitude a permis de privilégier le dialogue, puis d’éviter un bain de sang ou une escalade de la violence alors que les mutins basés à Bouaké  avaient souligné leur disposition à en découdre avec les forces militaires venues d’Abidjan pour estomper la mutinerie.

Cependant, ce ravisement renforce une nouvelle fois l’appréhension selon laquelle l’Exécutif et le gouvernement ont une emprise relativement faible sur cette armée surtout lorsque les mutinés se targuent d’ « avoir installé au prix de leurs vies l’actuel président ». C’est l’image de la Côte d’ivoire que le président Alassane Ouattara s’est attelé à policer depuis son accession au pouvoir qui est ternie. Ces mouvements mettent à mal les initiatives mises en oeuvre par le Chef de l'Etat ivoirien pour repositionner son pays sur la scène politique et diplomatique internationale. Il a plutôt préféré se réfugier dans un silence qui en a dit long sur son exaspération et sa déception devant l'obstination des jeunes soldats.

Ces différents événements ont démontré que la résilience de ce pays est bien plus difficile que l’on ne l’aurait imaginé. La situation sécuritaire dans ce pays exsangue inquiète plus d'un sur l'avenir du pays. Celui ci est devra faire face aux grands défis sécuritaires à l'issue du départ de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire à la fin du mois de juin 2017. 


Le président Alassane Ouattara est sorti diminué de ce bras de fer avec les jeunes mutins.

Ces nombreux bruits de bottes sont de nature à dissuader les investisseurs étrangers au moment où le gouvernement ivoirien se flatte des performances de l’économie qui tutoie les 8 voire 9% de croissance. Bien plus, cette instabilité sécuritaire pourrait compromettre l’organisation des prochains jeux de la Francophonie censés se tenir du 21 au 30 Juillet 2017 à Abidjan. Le gouvernement ivoirien entend faire de cette rencontre internationale une plateforme d’échanges et de promotion des potentialités touristiques et économiques du pays. Alassane Ouattara et son gouvernement entendent enfoncer le clou et marquer une fois de plus un coup diplomatique pour rappeler le retour de la Côte d’ivoire sur la scène internationale.

Ces événements soulignent, par ailleurs, la nécessité pour le gouvernement d’accélérer les réformes proposées par la Loi de programmation militaire[2] qui s’étend sur la période 2016-2020. Votée le 4 janvier 2016 par la Commission de la Sécurité et de la Défense (CSD) de l’Assemblée Nationale, cette loi prévoit notamment une réduction des effectifs militaires de 4000 hommes jusqu’en 2020 à travers, par exemple, l’instauration d’une prime de départ à la retraite comprise entre 3 et 20 millions. Par le truchement de cette loi, le gouvernement ivoirien a pour ambition de professionnaliser son armée et d’investir également dans l’équipement des différentes forces armées. Cette loi prévoit un budget cumulé de 2.254 milliards sur la période 2016-2020, dont 1.453,6 milliards de FCFA sont affectés au fonctionnement et 800 milliards de FCFA aux investissements[3]. Il est ainsi question d’optimiser et de rétablir l'équilibre budgétaire entre fonctionnement et investissement.

En outre, ces dépenses imprévues (primes payées) asséneront assurément un coup dur au budget de l’Etat de Côte d’ivoire. Déjà éprouvé par la baisse du cours du cacao sur les marchés internationaux, le pays est tenu de revoir ses prévisions budgétaires annuelles à la baisse. Ce budget 2017 est passé de 6501,4 milliards à 6447,6 milliards, occasionnant dans la foulée une réduction des dépenses qui auraient dû servir à la réhabilitation ou la construction d’infrastructures sanitaires, scolaires, socio-économiques, etc.

En ce qui concerne les revendications sociales, d’aucuns craignent que la "générosité" du gouvernement face aux mutins ne suscite des « émules » au niveau des autres corps socio-professionnels vu que les exigences financières des mutins ont été prestement satisfaites. Les agents de l’administration publique pourraient ne plus transiger sur les revendications relatives au paiement du stock d’arriérés que l’Etat ivoirien leur devrait depuis 2009 ou encore la revalorisation de leurs salaires et l’amélioration de leurs conditions de travail. Mais avant les fonctionnaires, les démobilisés et ex-combattants ont déjà débrayé. Ceux-ci  réclament à leur tour des primes similaires à celles de leurs anciens collaborateurs du « contingent des 8400 ». L'urgence réside dans l'anticipation de ces potentielles crises.

La Côte d’ivoire risquerait gros si toutes ces revendications d’ordre financier devaient être prises en compte immédiatement par le gouvernement. L'Etat ivoirien devrait réfléchir à une meilleure politique de redistribution des retombées et richesses générées par l’embellie économique du pays. Cette politique permettrait aux différentes couches sociales de mieux faire face aux difficultés liées notamment à la cherté du coût de la vie et d'atténuer les effets néfastes d'un environnement socio-politique délétère où persistent des clivages politiques qui opposent encore les différentes communautés. 

L'ébullition permanente du front social exaspère l'ensemble des ivoiriens et augure des perspectives obsurcies pour la jeunesse de ce pays. Cette jeunesse frappée de plein fouet par le chômage, ne dissimule plus ses inquiétudes au vu des propos des élites politiques ivoiriennes qui ne rassurent pas chaque fois qu'il est question d'évoquer les échéances électorales (la présidentielle) de 2020.


« Que le Dialogue et la Sagesse prévalent pour que la Côte d’ivoire renoue durablement avec la Paix »


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