jeudi 14 décembre 2017

LA PRESSE IVOIRIENNE, … UN FREIN AU  RENFORCEMENT DE LA DEMOCRATIE ET A LA COHESION SOCIALE?






Depuis plusieurs années, les performances démocratiques des Etats se mesurent notamment à l’aune de la ratification et de l'application, par ces Etats, des instruments internationaux de protection et de promotion des droits humains.  Au nombre de ces droits,  figure en pole position la liberté d’expression et de pensée qui fait partie des droits les plus fondamentaux des individus et propices au fonctionnement des associations et groupements politiques. 

En Afrique, la transition tumultueuse des jeunes Etats, de la pensée unique au pluralisme, a été fortement caractérisée par la floraison de partis politiques d’opposition. Ce pluralisme politique a favorisé la création de nombreux organes de presse écrite. Touchée également par cette mutation politique impulsée par le discours de la Baule de François Mitterrand, le 20 juin 1990 , la Côte d’ivoire a vu son espace médiatique connaître  un bouleversement avec une profusion exceptionnelle d’organes de presse écrite. Malheureusement, plutôt que cette profusion contribue à renforcer le processus démocratique, elle a favorisé la fragilisation du dit processus. 

Depuis 1990, année marquant le retour du multipartisme en Côte d’ivoire, une vue globale de la presse écrite laisse transparaître un tableau à trois niveaux. A un premier niveau, l’on retrouve la presse proche des formations politiques au pouvoir. A un second et un troisième niveau, l’on retrouve respectivement les organes proches des formations de l’opposition politique et un groupuscule d’organes jouant la carte de l’indépendance. Cette troisième catégorie essaie d’exister dans un contexte socio-politique qui exige un positionnement : être pro Mamadou ou anti Bineta.

À l’analyse, pour assurer leur pérennité, la plupart des quotidiens sont tenus d’être partisans. Ils ont une écriture qui se résume en ceci : le culte de la personnalité du leader politique et la propagande politique. Les deux premières catégories d’organes de presse relevés plus haut proposent aux lecteurs des articles qui célèbrent, déifient régulièrement les leaders politiques, leurs actions sur le terrain. Ils rendent compte de la vitalité de leurs formations sur le terrain aussi bien dans les zones urbaines que rurales. Ils constituent également des canaux d’information par le truchement desquels les différentes obédiences politiques véhiculent des mots d’ordre et autres consignes destinés à leurs sympathisants et militants. 

En outre, les organes de presse partisans constituent des tribunes servant parfois à vitrioler les formations politiques rivales. Le danger que représente la presse écrite commence à ce niveau. Certes la culture démocratique admet le débat contradictoire, mais elle ne saurait s’accomoder de discours qui contribueraient à accentuer les clivages sociaux. Le contexte ivoirien est à la fois singulier et délicat. Pour un Etat résilient comme la Côte d’ivoire qui sort d’une décennie de crise profonde, la pluralité des opinions des intellectuels et acteurs politiques quel qu’en soient leurs bords aurait dû favoriser un diagnostic des causes de la récente crise. Les différentes contributions intellectuelles auraient dû oeuvrer au renforcement des acquis démocratiques ou à la restauration des fondamentaux ébranlés par ladite crise. Mieux, elles devraient aider à la reconstitution du tissu social effrité depuis.

Pourtant, la réalité contraste avec cet idéal. La majorité des organes de presse écrite se fait l’écho de discours clivants, accentuant davantage la fracture sociale. Elle a eu une part de responsabilité importante dans les violences post-électorales de 2010-2011. Les différentes couches sociales ont été littéralement dressées les unes contre les autres du fait des parutions journalistiques tendancieuses. Ces mêmes risques se profilent à l’horizon et pourraient prendre des proportions plus importantes à l’approche des échéances électorales de 2020 et au regard des enjeux  de ce nouveau cycle électoral.

Les organes de régulation mis en place par l’Etat (le Conseil national de presse) et les acteurs de la presse écrite eux-mêmes (OLPED, GEPCI,etc.) semblent débordés par la kyrielle d’infractions régulières aux règles d’éthique et de déontologie régissant la fonction journalistique et ce, malgré les formations faites à l’endroit des journalistes. Ce qui amène à dire que le problème est ailleurs. Il n’est pas lié au déficit de formation des journalistes. En réalité, la presse écrite pourrait présenter un meilleur visage si les organes de presse écrite étaient dotés de moyens financiers et matériels substantiels susceptibles de leur assurer une réelle autonomie, puis de s’affranchir des chapelles politiques. Les résultats seraient meilleurs également avec une revalorisation du métier surtout en termes d’amélioration des conditions de travail et de vie.  Ces différentes mesures permettraient à la presse écrite de renouer avec sa vocation cardinale : informer et former son lectorat. Ces mesures permettraient surtout à la presse écrite de constituer un espace de discussions intelligentes et constructives où des sachants ou des érudits politques pourraient s’adonner allègrement aux joutes verbales constructives et argumentatives. La presse ivoirienne prendrait ainsi toute sa place dans la construction et l’enracinement de la démocratie en Côte d’ivoire.

Au moment où les élections de 2020 approchent à grands pas, les populations ivoiriennes attendent, dans leur ensemble, des débats contradictoires et des discussions qui accorderont une place de choix à leurs préoccupations existentielles les plus fondamentales : le coût de la vie, la sécurité, l’éducation, la santé, etc. 

L’Etat et les responsables des différents organes de presse écrite devraient à leur tour manifester cette volonté réelle de voir ce pan du "quatrième pouvoir" arpenter d’une façon résolue la voie du professionnalisme et de la responsabilité.


















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