jeudi 14 décembre 2017

LA PRESSE IVOIRIENNE, … UN FREIN AU  RENFORCEMENT DE LA DEMOCRATIE ET A LA COHESION SOCIALE?






Depuis plusieurs années, les performances démocratiques des Etats se mesurent notamment à l’aune de la ratification et de l'application, par ces Etats, des instruments internationaux de protection et de promotion des droits humains.  Au nombre de ces droits,  figure en pole position la liberté d’expression et de pensée qui fait partie des droits les plus fondamentaux des individus et propices au fonctionnement des associations et groupements politiques. 

En Afrique, la transition tumultueuse des jeunes Etats, de la pensée unique au pluralisme, a été fortement caractérisée par la floraison de partis politiques d’opposition. Ce pluralisme politique a favorisé la création de nombreux organes de presse écrite. Touchée également par cette mutation politique impulsée par le discours de la Baule de François Mitterrand, le 20 juin 1990 , la Côte d’ivoire a vu son espace médiatique connaître  un bouleversement avec une profusion exceptionnelle d’organes de presse écrite. Malheureusement, plutôt que cette profusion contribue à renforcer le processus démocratique, elle a favorisé la fragilisation du dit processus. 

Depuis 1990, année marquant le retour du multipartisme en Côte d’ivoire, une vue globale de la presse écrite laisse transparaître un tableau à trois niveaux. A un premier niveau, l’on retrouve la presse proche des formations politiques au pouvoir. A un second et un troisième niveau, l’on retrouve respectivement les organes proches des formations de l’opposition politique et un groupuscule d’organes jouant la carte de l’indépendance. Cette troisième catégorie essaie d’exister dans un contexte socio-politique qui exige un positionnement : être pro Mamadou ou anti Bineta.

À l’analyse, pour assurer leur pérennité, la plupart des quotidiens sont tenus d’être partisans. Ils ont une écriture qui se résume en ceci : le culte de la personnalité du leader politique et la propagande politique. Les deux premières catégories d’organes de presse relevés plus haut proposent aux lecteurs des articles qui célèbrent, déifient régulièrement les leaders politiques, leurs actions sur le terrain. Ils rendent compte de la vitalité de leurs formations sur le terrain aussi bien dans les zones urbaines que rurales. Ils constituent également des canaux d’information par le truchement desquels les différentes obédiences politiques véhiculent des mots d’ordre et autres consignes destinés à leurs sympathisants et militants. 

En outre, les organes de presse partisans constituent des tribunes servant parfois à vitrioler les formations politiques rivales. Le danger que représente la presse écrite commence à ce niveau. Certes la culture démocratique admet le débat contradictoire, mais elle ne saurait s’accomoder de discours qui contribueraient à accentuer les clivages sociaux. Le contexte ivoirien est à la fois singulier et délicat. Pour un Etat résilient comme la Côte d’ivoire qui sort d’une décennie de crise profonde, la pluralité des opinions des intellectuels et acteurs politiques quel qu’en soient leurs bords aurait dû favoriser un diagnostic des causes de la récente crise. Les différentes contributions intellectuelles auraient dû oeuvrer au renforcement des acquis démocratiques ou à la restauration des fondamentaux ébranlés par ladite crise. Mieux, elles devraient aider à la reconstitution du tissu social effrité depuis.

Pourtant, la réalité contraste avec cet idéal. La majorité des organes de presse écrite se fait l’écho de discours clivants, accentuant davantage la fracture sociale. Elle a eu une part de responsabilité importante dans les violences post-électorales de 2010-2011. Les différentes couches sociales ont été littéralement dressées les unes contre les autres du fait des parutions journalistiques tendancieuses. Ces mêmes risques se profilent à l’horizon et pourraient prendre des proportions plus importantes à l’approche des échéances électorales de 2020 et au regard des enjeux  de ce nouveau cycle électoral.

Les organes de régulation mis en place par l’Etat (le Conseil national de presse) et les acteurs de la presse écrite eux-mêmes (OLPED, GEPCI,etc.) semblent débordés par la kyrielle d’infractions régulières aux règles d’éthique et de déontologie régissant la fonction journalistique et ce, malgré les formations faites à l’endroit des journalistes. Ce qui amène à dire que le problème est ailleurs. Il n’est pas lié au déficit de formation des journalistes. En réalité, la presse écrite pourrait présenter un meilleur visage si les organes de presse écrite étaient dotés de moyens financiers et matériels substantiels susceptibles de leur assurer une réelle autonomie, puis de s’affranchir des chapelles politiques. Les résultats seraient meilleurs également avec une revalorisation du métier surtout en termes d’amélioration des conditions de travail et de vie.  Ces différentes mesures permettraient à la presse écrite de renouer avec sa vocation cardinale : informer et former son lectorat. Ces mesures permettraient surtout à la presse écrite de constituer un espace de discussions intelligentes et constructives où des sachants ou des érudits politques pourraient s’adonner allègrement aux joutes verbales constructives et argumentatives. La presse ivoirienne prendrait ainsi toute sa place dans la construction et l’enracinement de la démocratie en Côte d’ivoire.

Au moment où les élections de 2020 approchent à grands pas, les populations ivoiriennes attendent, dans leur ensemble, des débats contradictoires et des discussions qui accorderont une place de choix à leurs préoccupations existentielles les plus fondamentales : le coût de la vie, la sécurité, l’éducation, la santé, etc. 

L’Etat et les responsables des différents organes de presse écrite devraient à leur tour manifester cette volonté réelle de voir ce pan du "quatrième pouvoir" arpenter d’une façon résolue la voie du professionnalisme et de la responsabilité.


















vendredi 25 août 2017

LA PROBLEMATIQUE DE L'IMMIGRATION CLANDESTINE EN AFRIQUE.

LA PROBLEMATIQUE DE L’IMMIGRATION CLANDESTINE EN AFRIQUE.



Depuis plusieurs années, le phénomène de l’immigration irrégulière ou clandestine fait la "Une" des médias internationaux et ceux du continent africain. Aucune semaine ne passe sans que les chaînes de télévision et de radio n’évoquent le naufrage d’embarcations de fortune dans la mer Méditerranée, au large des côtes libyennes et italiennes ou des corps sans vie de migrants retrouvés dans le désert nigérien ou libyen. En Afrique, ce sont l’Afrique de l’ouest, le Maghreb (Libye, Tunisie) et la corne de l’Afrique (Somalie, Erythrée, Ethiopie) qui sont fortement affectés par l’immigration irrégulière. De nombreuses raisons sont avancées pour expliquer le phénomène. Hormis l'asile évoquée par de nombreux migrants en raison des menaces pesant sur leurs vies dans leurs pays d'origine, certaines causes méritent d'être un peu plus explicitées.

 
LES CAUSES CLIMATIQUES ET L’INSECURITE ALIMENTAIRE.
L’Afrique est frappée de plein fouet par les conséquences dramatiques du changement climatique. Ces dernières années, les climatologues ont observé d'inquiétantes perturbations au niveau des saisons. La baisse drastique de la pluviométrie justifie d’ailleurs la sécheresse aigue qui touche la corne de l’Afrique et d’autres régions du continent dont le Sahel. Elle accentue la malnutrition des enfants qui en constituent les premières victimes, puis cause la destruction des troupeaux. Les statistiques fournies par les experts sont bien alarmantes : « À l’heure actuelle, quelques 240 millions d’Africains souffrent déjà de la faim. D’ici 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 à 1,9 degré Celsius environ pour accroître d’entre 25 et 95% le nombre d’Africains sous-alimentés (+ 25% en Afrique centrale, + 50% en Afrique de l’Est, + 85% en Afrique australe et + 95% en Afrique de l’Ouest »)[1]



Illustration de l’ampleur de la sécheresse qui frappe de façon très sévère et courante la corne de l’Afrique (Photo d’archive)

Mais les effets des bouleversements climatiques motivent d’ores et déjà l’exode des populations de cette contrée vers les pays voisins, le Kenya notamment où les conditions  climatiques sont un peu plus clémentes. Certaines privilégient le risque de traverser le  désert, puis la Méditerranée avec l’espoir d’une vie meilleure pour elles-mêmes et leurs familles restées en Afrique. Pourtant, de nombreuses familles composées essentiellement de femmes et d’enfants meurent lors de ce périple.


L’INSTABILITE SOCIO POLITIQUE ET SECURITAIRE.

L’instabilité socio-politique de nombreux pays du continent fait partie des causes de l’essor de l’immigration irrégulière. En effet, les jeunes Etats africains sont bien souvent fragilisés par les crises socio-politiques cycliques consécutives à des processus électoraux contestés ou des transitions politiques chaotiques.  


En Afrique subsaharienne, certains pays comme le Ghana, le Sénégal et le Bénin représentent des exemples pertinents qui ont su exorciser ce sort tragique commun à plusieurs pays de la sous région ouest africaine. Depuis un peu plus d’une décennie, les échéances électorales se déroulent dans la plupart des cas dans des conditions pacifiques et transparentes. Ce qui contribue à l’ancrage des acquis démocratiques et à renforcer leur stabilité socio-politique.

C’est le revers de la médaille dans certains pays résilients comme la Côte d’ivoire. En effet, la paupérisation, le chômage, consécutifs à plus d’une décennie de crise politico-militaire conduisent de nombreux jeunes ivoiriens à quitter leur pays pour l’Europe. Mais l’argument de la pauvreté est battu en brèche par les autorités ivoiriennes. Pour elles, cet argument est peu convaincant d’autant que les migrants peuvent débourser plus de 2000 euros pour  leurs périples périlleux. Il n’empêche que l’ambition d’améliorer leurs conditions de vie précaires motive beaucoup de jeunes à prendre le chemin du désert sahélien ou des eaux tumultueuses de la Méditerranée. A ce niveau également, les chiffres de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) à Abidjan indiquent que « près de 12 000 Ivoiriens se trouvaient en 2016 en Libye, pays devenu l’un des principaux points de passage vers l’Europe pour les migrants d’Afrique sub-saharienne ».[2]

En clair, il apparaît  qu’en dépit de son économie dynamique dont la croissance flirte avec les 10 %, la Côte d’ivoire pourvoit, en grand nombre, des candidats à l’immigration irrégulière. Il importe ici de s’interroger sur l’efficacité de la redistribution des richesses générées par l’embellie économique. Ces chiffres de l'OIM devraient amener l'Etat ivoirien à l'élaboration d'une politique qui impacterait davantage les conditions de vie de ses populations, et freinerait, par ricochet, le départ de ses jeunes pour un El dorado illusoire.



Retour de plusieurs jeunes ivoiriens de la Libye, pays de passage pour de nombreux migrants subsahariens avant de rejoindre les côtes européennes.

En outre, le contexte socio-politique post crise présente une résilience bien complexe. A l’approche des échéances électorales de 2020, les discours des élites politiques, le jeu des alliances et ruptures politiques, les menaces à peine voilées et par médias interposés incitent de nombreux jeunes à quitter la Côte d’ivoire. Pour eux, certes, l’avenir du pays est prometteur, cependant, les enjeux du scrutin de 2020 feraient craindre une résurgence du conflit ou à tout le moins des violences électorales et post-électorales. Si certains optent pour l’immigration irrégulière, d’autres, plus prudents, voudraient se donner les chances de réussir leurs études et se  construire une meilleure carrière professionnelle en s’installant dans des pays reconnus pour leur stabilité socio-politique (Bénin, Ghana, Maroc, Sénégal, etc.).

En outre, les pays africains sont confrontés à d’énormes défis d’ordre sécuritaire. Abonnés aux guerres civiles fratricides et autres rébellions armées habituelles qui les ont généralement fragilisés, ils font face, désormais, à une nouvelle forme de conflit. Il s’agit de la guerre asymétrique que leur imposent les organisations terroristes. L’Afrique subsaharienne apparait comme l’un des terreaux fertiles pour les activités des nébuleuses Al Quaida au Maghreb Islamique (AQMI) et l’Etat Islamique (EI) et leurs ramifications. Les pays dont les populations sont les plus affectées sont ceux de la bande sahélienne (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad) et certains pays qui leur sont voisins tels que le Burkina Faso et le Nigeria.

La lutte contre Boko Haram dans le nord du Nigeria ou contre AQMI et ses nombreuses organisations affiliées dans le nord du Mali n’épargnent aucunement les populations civiles. L’insécurité ambiante dans ces différentes zones engendre un exode des populations civiles. Les occidentaux qui s'aventurent dans ces zones de non droit s'exposent à des rapts. Le trafic d’êtres humains prospèrent également dans la zone et les premières victimes sont les candidats à l'immigration clandestine. 

Nonobstant tous ces dangers, le Nigeria bat un triste record. Il occupe le premier rang du peloton de tête des dix premières nationalités des migrants arrivés en Italie entre janvier et novembre 2016. Ici également, les chiffres de l’Organisation internationale des migrations sont alarmants. Les Nigérians ont constitué 21 % des entrants, suivis par les Erythréens (11,7 %), et des Guinéens (7,2 %)[3].

Face à l’ampleur du phénomène, les Etats européens et africains ont intérêt à définir une stratégie commune afin d’y trouver des solutions durables.



mercredi 24 mai 2017

RECENTES MUTINERIES DE L'ARMEE: DOIT-ON CRAINDRE LE PIRE POUR LA COTE D'IVOIRE?

RECENTES MUTINERIES DE L’ARMEE : DOIT-ON CRAINDRE LE PIRE POUR LA COTE D’IVOIRE ?

La Côte d’ivoire et ses populations ont retenu leur souffle après 4 jours de mutinerie menée par des soldats des Forces Armées de Côte d'ivoire, plus spécifiquement le contingent des 8400 soldats issus de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles. Ces soldats ont revendiqué le reliquat des primes qu’ils avaient réclamées à l’Etat ivoirien au mois de janvier 2017. Nous vous proposons une analyse succincte de cette situation qui a fait craindre le pire pour la Côte d’ivoire.

La troisième République appelée de tous ces vœux par le Chef de l’Etat ivoirien, SEM Alassane Ouattara et ses alliés politiques, connaît un début tumultueux et ses premiers balbutiements. Mais le numéro 1 de l’Exécutif ivoirien n’est pas confronté à sa première mutinerie. Déjà le 18 novembre 2014, des militaires avaient manifesté bruyamment à l’effet de revendiquer de meilleures conditions de travail et le paiement d'arriérés de solde. Ce mouvement d’humeur s’est propagé comme une trainée de poudre dans une action coordonnée, et savamment menée par les militaires issus de l’ex-rébellion. Ceux-ci réclamaient notamment la revalorisation de leurs salaires et la révision de la période d’avancement relativement aux grades.

Ce mouvement d’humeur militaire de novembre 2014 avait occasionné la paralysie des activités socio-économiques sur toute l’étendue du territoire ivoirien. A cette époque, le gouvernement avait pris la mesure des griefs exposés par les hommes en armes réclamant les arriérés qui couraient depuis 2009. Le Ministre d’Etat Ahmed Bakayoko avait même rassuré les mutins sur les antennes de la Radiodiffusion et télévision ivoirienne (RTI) en leur signifiant que « le président (Alassane Ouattara) n'était pas très content de savoir que cette question qui était prévue par les accords de Ouaga depuis 2009 n'avait pas été traitée et exécutée. Donc, ce que je veux dire aux jeunes (les mutins), vous vous êtes exprimés, vous avez parlé, le président a compris, il a donné des instructions au gouvernement pour régler votre problème. »[1]Les discussions autour des modalités d’exécution de ces mesures avaient ramené le calme dans les casernes.

Au grand dam  des populations civiles et des opérateurs économiques, les fusils ont crépité et les armes ont tonné de nouveau en janvier 2017. Les 7 et 8 janvier derniers, des tirs sporadiques appuyés parfois de tirs à l'arme lourde ont suscité l'épouvante chez les populations de la ville Bouaké, contraignant commerces, administration publique, banques et autres entreprises privées à fermer. Cette mutinerie dont Bouaké était l’épicentre s’est étendue à plusieurs villes du pays (Daloa, Daoukro, Korogho, etc.). La résolution de cette nouvelle crise avait motivé le déplacement à Bouaké du ministre de la défense, M. Alain Richard Donwahi et de quelques officiers des forces armées de Côte d’ivoire et figures illustres et influentes de l’ex rébellion notamment Issiaka Ouattara alias Wattao et Cherif Ousmane.

M. Issiaka Ouattara, Commandant de la Garde Républicaine, assis aux côtés de M. Alain Richard Donwahi, Ministre de la Défense de Côte d’ivoire.

Les échanges houleux entre la délégation gouvernementale et les représentants des mutins ont débouché sur un accord dont la teneur n’a pas été révélée aux ivoiriens, même si certaines indiscrétions et certains organes de presse évoquaient la promesse de paiement de primes de 12 millions de FCFA à chacun des soldats membre du contingent des 8400 soldats des ex Forces Nouvelles ayant intégré l’armée ivoirienne. Il est important de rappeler que ce mouvement d’humeur avait engendré le limogeage du Chef d’Etat-major général de l’armée, des généraux à la tête de la police et de la gendarmerie. Les Forces Spéciales, unité d’élite créée par le président Alassane Ouattara, à l’issue de la crise de 2010-2011, avaient emboité le pas à leurs homologues le 7 février 2017. 

Au moment où les ivoiriens espéraient qu’une solution définitive avait été trouvée à ces protestations répétitives, le "contingent des 8400" soldats a remis le couvert entre le 12 au 15 Mai. Cette nouvelle mutinerie qui aura une fois de plus pour épicentre la ville symbolique de Bouaké s’étendra à de nombreuses villes du pays.



Des soldats ivoiriens dans une rue d’Abidjan pendant la mutinerie de Mai 2017.

Cette fois, les soldats mutinés ont réclamé la suite des primes dont ils avaient d’ores et déjà perçu une avance de 5 millions à l’occasion de la mutinerie de janvier 2017. Ce mouvement sera plus long que les mutineries antérieures d’autant que le gouvernement mettra 4 jours avant de trouver un accord avec les soldats protestataires. 

Au regard de cette situation, doit-on craindre le pire pour la Côte d’ivoire? Quelles peuvent être les conséquences de cette situation à court et à moyen terme pour la Côte d’ivoire ?

Ces mouvements d’humeur intermittents des 8400 militaires ont démontré que la situation sécuritaire de la Côte d’ivoire est encore fragile, et peut être volatile. Ces mouvements  ont surtout démontré que cette armée ivoirienne formée et refondée après la décennie de crise est encore loin de répondre aux attentes des populations et des gouvernants. C’est une armée hétérogène qui, pour ce qu’elle a présenté jusqu’ici, semble ne pas avoir encore cerné les notions et valeurs cardinales qui fondent cet appareil de l’Etat. Les notions de discipline, du respect de la hiérarchie et de l’autorité, et surtout la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt particulier restent délibérément marginalisées par les hommes en arme.

Le président Alassane Ouattara et le gouvernement ivoirien sont sortis affaiblis de cette crise. Eux qui avaient prôné la fermeté face aux mutins ont dû se raviser. Cette attitude a permis de privilégier le dialogue, puis d’éviter un bain de sang ou une escalade de la violence alors que les mutins basés à Bouaké  avaient souligné leur disposition à en découdre avec les forces militaires venues d’Abidjan pour estomper la mutinerie.

Cependant, ce ravisement renforce une nouvelle fois l’appréhension selon laquelle l’Exécutif et le gouvernement ont une emprise relativement faible sur cette armée surtout lorsque les mutinés se targuent d’ « avoir installé au prix de leurs vies l’actuel président ». C’est l’image de la Côte d’ivoire que le président Alassane Ouattara s’est attelé à policer depuis son accession au pouvoir qui est ternie. Ces mouvements mettent à mal les initiatives mises en oeuvre par le Chef de l'Etat ivoirien pour repositionner son pays sur la scène politique et diplomatique internationale. Il a plutôt préféré se réfugier dans un silence qui en a dit long sur son exaspération et sa déception devant l'obstination des jeunes soldats.

Ces différents événements ont démontré que la résilience de ce pays est bien plus difficile que l’on ne l’aurait imaginé. La situation sécuritaire dans ce pays exsangue inquiète plus d'un sur l'avenir du pays. Celui ci est devra faire face aux grands défis sécuritaires à l'issue du départ de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire à la fin du mois de juin 2017. 


Le président Alassane Ouattara est sorti diminué de ce bras de fer avec les jeunes mutins.

Ces nombreux bruits de bottes sont de nature à dissuader les investisseurs étrangers au moment où le gouvernement ivoirien se flatte des performances de l’économie qui tutoie les 8 voire 9% de croissance. Bien plus, cette instabilité sécuritaire pourrait compromettre l’organisation des prochains jeux de la Francophonie censés se tenir du 21 au 30 Juillet 2017 à Abidjan. Le gouvernement ivoirien entend faire de cette rencontre internationale une plateforme d’échanges et de promotion des potentialités touristiques et économiques du pays. Alassane Ouattara et son gouvernement entendent enfoncer le clou et marquer une fois de plus un coup diplomatique pour rappeler le retour de la Côte d’ivoire sur la scène internationale.

Ces événements soulignent, par ailleurs, la nécessité pour le gouvernement d’accélérer les réformes proposées par la Loi de programmation militaire[2] qui s’étend sur la période 2016-2020. Votée le 4 janvier 2016 par la Commission de la Sécurité et de la Défense (CSD) de l’Assemblée Nationale, cette loi prévoit notamment une réduction des effectifs militaires de 4000 hommes jusqu’en 2020 à travers, par exemple, l’instauration d’une prime de départ à la retraite comprise entre 3 et 20 millions. Par le truchement de cette loi, le gouvernement ivoirien a pour ambition de professionnaliser son armée et d’investir également dans l’équipement des différentes forces armées. Cette loi prévoit un budget cumulé de 2.254 milliards sur la période 2016-2020, dont 1.453,6 milliards de FCFA sont affectés au fonctionnement et 800 milliards de FCFA aux investissements[3]. Il est ainsi question d’optimiser et de rétablir l'équilibre budgétaire entre fonctionnement et investissement.

En outre, ces dépenses imprévues (primes payées) asséneront assurément un coup dur au budget de l’Etat de Côte d’ivoire. Déjà éprouvé par la baisse du cours du cacao sur les marchés internationaux, le pays est tenu de revoir ses prévisions budgétaires annuelles à la baisse. Ce budget 2017 est passé de 6501,4 milliards à 6447,6 milliards, occasionnant dans la foulée une réduction des dépenses qui auraient dû servir à la réhabilitation ou la construction d’infrastructures sanitaires, scolaires, socio-économiques, etc.

En ce qui concerne les revendications sociales, d’aucuns craignent que la "générosité" du gouvernement face aux mutins ne suscite des « émules » au niveau des autres corps socio-professionnels vu que les exigences financières des mutins ont été prestement satisfaites. Les agents de l’administration publique pourraient ne plus transiger sur les revendications relatives au paiement du stock d’arriérés que l’Etat ivoirien leur devrait depuis 2009 ou encore la revalorisation de leurs salaires et l’amélioration de leurs conditions de travail. Mais avant les fonctionnaires, les démobilisés et ex-combattants ont déjà débrayé. Ceux-ci  réclament à leur tour des primes similaires à celles de leurs anciens collaborateurs du « contingent des 8400 ». L'urgence réside dans l'anticipation de ces potentielles crises.

La Côte d’ivoire risquerait gros si toutes ces revendications d’ordre financier devaient être prises en compte immédiatement par le gouvernement. L'Etat ivoirien devrait réfléchir à une meilleure politique de redistribution des retombées et richesses générées par l’embellie économique du pays. Cette politique permettrait aux différentes couches sociales de mieux faire face aux difficultés liées notamment à la cherté du coût de la vie et d'atténuer les effets néfastes d'un environnement socio-politique délétère où persistent des clivages politiques qui opposent encore les différentes communautés. 

L'ébullition permanente du front social exaspère l'ensemble des ivoiriens et augure des perspectives obsurcies pour la jeunesse de ce pays. Cette jeunesse frappée de plein fouet par le chômage, ne dissimule plus ses inquiétudes au vu des propos des élites politiques ivoiriennes qui ne rassurent pas chaque fois qu'il est question d'évoquer les échéances électorales (la présidentielle) de 2020.


« Que le Dialogue et la Sagesse prévalent pour que la Côte d’ivoire renoue durablement avec la Paix »


jeudi 20 avril 2017

Les grands défis sécuritaires de la Côte d'ivoire après le départ de l'ONUCI.


Après plus d'une décennie de présence sur le territoire ivoirien, l’opération des nations unies en Côte d’ivoire (ONUCI) quitte définitivement ce pays. Ce départ est consécutif à l’adoption[1] à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies de la Résolution 2284 . Cette résolution met un terme au mandat de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) qui s’achèvera le 30 juin 2017.

Au regard du soutien multiforme que cette opération onusienne a apporté aux autorités et surtout à l’armée ivoirienne, il importe de porter un regard sur les challenges auxquels les autorités ivoiriennes sont désormais confrontées.    

LES DEFIS DES FORCES ARMEES DE COTE D’IVOIRE.
L’Etat ivoirien est bien conscient des difficultés que posera ce départ des différents contingents onusiens. Au même moment, il est tenu de faire face aux responsabilités qui sont les siennes. C’est une armée languissante et en construction qui devra exclusivement assurer la protection des biens et des personnes sur toute l’étendue du territoire ivoirien.
·        
   LA CONSTRUCTION D’UNE ARMEE PROFESSIONNELLE ET RESPECTUEUSE DES VALEURS REPUBLICAINES ET DE LA DISCIPLINE.

Le premier défi est assurément d’ordre structurel. En effet, la décennie de crise avait favorisé d’un côté la création de plusieurs zones militaires dirigées par des chefs de guerre dans la partie sous le contrôle de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles de Guillaume SORO, quand la partie du territoire sous le contrôle de Laurent GBAGBO était confiée aux Forces de Défense et de Sécurité, mieux structurées avec des officiers supérieurs bien formés. La fin du conflit a permis de réunir les deux entités, autrefois adversaires sur le terrain militaire, au sein d’une même armée qui prendra la dénomination des Forces Républicaines de Côte d’ivoire (FRCI) et plus tard les Forces Armées de Côte d’ivoire (FACI).

Cependant, la plupart des ivoiriens ont encore le sentiment que certains soldats de l’armée ivoirienne restent encore attachés aux entités auxquelles ils étaient rattachés pendant la décennie de crise. De nombreux hommes de rang vouent encore un profond respect à leurs ex-commandants de zones. Ce sentiment s’est renforcé avec les mutineries qui ont secoué plusieurs casernes du pays du pays au début de l’année 2017. Le Ministre de la Défense, Richard Alain Donwahi[2] s’était alors attaché les services des ex-com’zones Issiaka Ouattara alias Watao et Chérif Ousmane pour mener les discussions avec les mutins à Bouaké, l’ex-capitale de l’ancienne rébellion des Forces Nouvelles. Le ministre a dû tabler sur l’influence des ex com’zones pour tenter de ramener les soldats à la raison. Ces ex-commandants de zones représentent aujourd’hui les véritables interfaces entre ces soldats issus pour la plupart de l’ex rébellion et les autorités gouvernementales. Ils semblent avoir une influence plus grande sur ces hommes que les généraux des différents corps de l’armée ne l’ont sur eux. En somme, la discipline et le respect de l’autorité sont encore loin d’être les maîtres mots au sein de la grande muette en construction.


Le Ministre Alain Richard DONWAHI (assis au centre) et le lieutenant-colonel, Issiaka Ouattara (au second plan, en treillis clair) lors de la rencontre avec les mutins à Bouaké.

Mais cet épisode des mutineries, qui rappelons-le, n’a pas épargné l’une des gardes prétoriennes du président Alassane Ouattara à savoir les Forces Spéciales, a montré également que les politiques ont emprise relative sur cette armée. A preuve, la dextérité avec laquelle la mutinerie a été conduite a contraint l’Etat à plier l’échine, puis à céder aux revendications[3] des mutins. Ceux-ci réclamaient notamment le paiement de primes, des augmentations de solde, une promotion plus rapide entre les grades ainsi que des logements. Les revendications satisfaites étaient essentiellement portées par les hommes de rang issus de l’ex-rébellion, créant, par conséquent, des frustrations chez les ex-FDS restés fidèles à l’ex-président, Laurent GBAGBO pendant la crise post-électorale.
·         
      L’EQUATION DES EX COMBATTANTS.

Comme il est de coutume dans les pays sortant d’un conflit armé, avec l’appui de certains bailleurs financiers et de l’ONUCI, la restructuration de l’armée et la mise en œuvre d’un programme national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion ont été initiés. Le DDR a facilité la réinsertion socio-professionnelle de plusieurs milliers d’ex-combattants d’autant que ce programme constituait l’un des leviers importants pour consolider la stabilité socio-politique du pays. Ainsi, à l’issue d’un travail de vérification entrepris par le gouvernement ivoirien en 2012, le nombre des ex combattants a été revu à la baisse. Il est passé de 110.000 à 74.000 individus[4]. Le processus a permis de recueillir 43.510 armements y compris 14.121 armes. Ces chiffres seraient loin de refléter la réalité bien que l'objectif quantitatif du Gouvernement a été atteint et représente un taux de désarmement et de démobilisation de 92%. 

Les appréhensions quant au succès de ce programme se sont justifiées au fil du temps. La grogne persistante dans les rangs de ces ex-combattants traduit bien le bilan mitigé de ce programme. Si certains affirment avoir été laissés pour compte, d’autres ex-combattants ont jugé, insuffisantes, les mesures d’accompagnement censées faciliter leur réinsertion sociale et le retour à la vie civile. Plusieurs voix se sont élevées également pour dénoncer  la non-tenue de promesses  pécuniaires qui leurs avaient été faites durant la crise.

Les revendications des soldats qui ont été satisfaites, à l’issue de la mutinerie de janvier 2017, ont amplifié davantage ce sentiment de mépris chez les ex-combattants. Ceux-ci n’ont pas hésité à exprimer leurs griefs et revendications aux autorités ivoiriennes, par l’entremise de l’une de leurs associations dénommée la Cellule 39. Des velléités de manifestations de cette cellule ont été avortées par un émissaire du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly, en la personne de M. TOURE Souleymane (Conseiller spécial du Premier Ministre). Ces revendications s’articuleraient autour des points liés à « la reconnaissance sur tout le territoire ivoirien de la cellule 39 en tant qu'association dûment créée, la reconnaissance du grade de caporal attribué à chacun d'eux, l'intégration des plus jeunes dans l'armée, dans les corps para militaires et dans les régies financières, enfin et surtout, le versement de la prime de guerre »[5]

La question des ex combattants reste donc préoccupante. En dépit de l’opération de désarmement dont le gouvernement s’est félicité de la réussite, de nombreuses armes circulent encore à travers le pays. La situation sécuritaire est régulièrement mise à mal par les attaques armées des domiciles ou des établissements bancaires dans les zones urbaines et la recrudescence du phénomène des « coupeurs de route » qui a pris des proportions inquiétantes sur les principaux axes routiers de la Côte d’ivoire. C’est pour pallier ce type de criminalité que certaines unités spéciales ont été créées notamment le CCDO[6] qui est une unité constituée des agents de la police, de la gendarmerie et de l’armée.

Remise de matériels roulants des autorités ivoiriennes au CDDO.

L’action du CCDO est fort appréciée par les populations sur le terrain mais les attentes sont encore grandes d’autant que la violence de la crise ivoirienne a favorisé l’essor d’une autre forme de criminalité : le phénomène des enfants en conflit avec la loi ou les « enfants microbes ». Il s’agit de groupes d’enfants dont l’âge est compris entre 10 et 18 ans, armés d’armes blanches (machettes, couteaux et d’autres objets contondants) souvent sous l’effet d’excitants et de stupéfiants s’en prennent violemment aux populations dans plusieurs quartiers d’Abidjan (Abobo, Adjamé, Yopougon, etc.). Malheureusement, le phénomène s’étend à d’autres villes du pays (Daloa, Gagnoa, Bouaké, etc.) nonobstant des mesures étatiques pour redonner une autre chance à ses enfants dont la plupart sont déscolarisés.
·        
     LES VELLEITES DE DESTABILISATION AUX FRONTIERES

L’ONUCI, outre son quartier général de l’ex hôtel SEBROKO à Abidjan, avait installé plusieurs contingents dans différentes régions de la Côte d’ivoire. Sa présence à l’ouest et au sud-ouest du pays était d’un apport précieux à l’armée ivoirienne. En effet, la fin de la guerre au Liberia n’a pas pour autant mis fin aux activités de certains groupes / groupuscules armés qui sévissent dans cette zone. La frontière commune avec la Côte d’ivoire  qui bénéficie d’une végétation luxuriante sert de sanctuaire à ces bandes armées. Celles-ci font régulièrement des incursions dans la zone ivoirienne, laissant sur leurs passages des pertes en vies humaines et des destructions de biens matériels. D’ailleurs, ces incursions occasionnent parfois de pertes en vies humaines dans les rangs de l’armée ivoirienne.[7]

Ce foyer d’insécurité représente une menace réelle pour la stabilité du pays qui peine à protéger les populations civiles dans cette zone. Les ivoiriens ont encore en mémoire la participation des mercenaires libériens au conflit qui avait déchiré leur pays, à l’occasion de la crise post-électorale de 2010-2011. La présence de l’ONUCI dans cette région avait un effet dissuasif en raison de sa logistique et de ses équipements développés. Cette présence sur le terrain se matérialisait par des patrouilles régulières. Elle dissuadait surtout les velléités de déstabilisation, ou autres actions subversives, puis rassurait les populations épouvantées par la violence inouïe utilisée par ces groupes armés. Désormais, l’armée ivoirienne devra toute seule faire face à cette menace persistante et être capable d’une réaction prompte et efficace en cas d’attaque. La sécurisation de cette frontière reste l’un des défis majeurs en matière de sécurité pour l’Etat ivoirien.

Au total, la Côte d’ivoire renoue progressivement avec la normalité et la stabilité socio-politique. Celles-ci restent encore fragiles surtout en raison d’une armée en reconstruction, et peu respectueuse des valeurs républicaines et de la discipline militaire. Des défis importants se présentent à cette armée au moment où l’ONUCI quitte définitivement ce pays.  Ces défis se définissent en termes de construction d'une armée plus professionnelle, censée protéger les biens et les personnes sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Ce challenge concerne la capacité de cette armée à parer à d’éventuelles actions subversives extérieures et internes.



[1] Cette résolution a été adoptée le 28 Avril 2016.
[6] Le CCDO est le Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles. C’est une unité spéciale mise en place le 11 Mars 2013 par le président Alassane OUATTARA. Il est composé de 750 policiers, gendarmes et militaires qui ont pour mission essentielle de combattre le grand banditisme. Ces hommes sont placés sous l’autorité d’officiers de la police, de la gendarmerie et de l'armée.
[7] Le 02 Décembre 2015, des attaques d’une bande armée venue du Liberia ont occasionné la mort de six soldats des FRCI dans les localités d’Olodio  et de Grabo (Sud-ouest). Lien sur cette attaque : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/04/cote-d-ivoire-attaques-contre-les-forces-de-securite-six-soldats-tues_4824026_3212.html

COTE D'IVOIRE: UNE ELECTION PRESIDENTIELLE SUR FOND DE TENSIONS POLITIQUES ET COMMUNAUTAIRES

  A l’instar de plusieurs pays africains, la Côte d'Ivoire entame un nouveau cycle électoral. Celui-ci commence par l’élection la plus...