Après plus d'une décennie de présence sur le territoire
ivoirien, l’opération des nations unies en Côte d’ivoire (ONUCI) quitte
définitivement ce pays. Ce départ est consécutif à l’adoption[1]
à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies de la Résolution 2284 . Cette résolution met un terme au mandat de l’Opération des Nations Unies
en Côte d’Ivoire (ONUCI) qui s’achèvera le 30 juin 2017.
Au regard du soutien multiforme que cette opération onusienne a apporté aux autorités et surtout à l’armée ivoirienne, il importe de porter un regard sur les challenges auxquels les autorités ivoiriennes sont désormais confrontées.
LES DEFIS DES FORCES ARMEES DE COTE D’IVOIRE.
L’Etat ivoirien est bien
conscient des difficultés que posera ce départ des différents
contingents onusiens. Au même moment, il est tenu de faire
face aux responsabilités qui sont les siennes. C’est une armée languissante et
en construction qui devra exclusivement assurer la protection des biens et des
personnes sur toute l’étendue du territoire ivoirien.
·
LA CONSTRUCTION
D’UNE ARMEE PROFESSIONNELLE ET RESPECTUEUSE DES VALEURS REPUBLICAINES ET DE LA
DISCIPLINE.
Le premier défi est assurément
d’ordre structurel. En effet, la décennie de crise avait favorisé d’un côté la
création de plusieurs zones militaires dirigées par des chefs de guerre dans la
partie sous le contrôle de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles de Guillaume
SORO, quand la partie du territoire sous le contrôle de Laurent GBAGBO était
confiée aux Forces de Défense et de Sécurité, mieux structurées avec des
officiers supérieurs bien formés. La fin du conflit a permis de réunir les deux
entités, autrefois adversaires sur le terrain militaire, au sein d’une même
armée qui prendra la dénomination des Forces Républicaines de Côte d’ivoire
(FRCI) et plus tard les Forces Armées de Côte d’ivoire (FACI).
Cependant, la plupart des ivoiriens ont encore le sentiment que certains soldats de l’armée ivoirienne restent encore attachés aux entités auxquelles ils étaient rattachés pendant la décennie de crise. De nombreux hommes de rang vouent encore un profond respect à leurs ex-commandants de zones. Ce sentiment s’est renforcé avec les mutineries qui ont secoué plusieurs casernes du pays du pays au début de l’année 2017. Le Ministre de la Défense, Richard Alain Donwahi[2] s’était alors attaché les services des ex-com’zones Issiaka Ouattara alias Watao et Chérif Ousmane pour mener les discussions avec les mutins à Bouaké, l’ex-capitale de l’ancienne rébellion des Forces Nouvelles. Le ministre a dû tabler sur l’influence des ex com’zones pour tenter de ramener les soldats à la raison. Ces ex-commandants de zones représentent aujourd’hui les véritables interfaces entre ces soldats issus pour la plupart de l’ex rébellion et les autorités gouvernementales. Ils semblent avoir une influence plus grande sur ces hommes que les généraux des différents corps de l’armée ne l’ont sur eux. En somme, la discipline et le respect de l’autorité sont encore loin d’être les maîtres mots au sein de la grande muette en construction.
Le Ministre Alain Richard DONWAHI (assis au centre)
et le lieutenant-colonel, Issiaka Ouattara (au second plan, en treillis clair)
lors de la rencontre avec les mutins à Bouaké.
Mais cet épisode des mutineries,
qui rappelons-le, n’a pas épargné l’une des gardes prétoriennes du président
Alassane Ouattara à savoir les Forces Spéciales, a montré également que les
politiques ont emprise relative sur cette armée. A preuve, la dextérité
avec laquelle la mutinerie a été conduite a contraint l’Etat à plier l’échine, puis
à céder aux revendications[3]
des mutins. Ceux-ci réclamaient notamment le paiement de primes, des
augmentations de solde, une promotion plus rapide entre les grades ainsi que
des logements. Les revendications satisfaites
étaient essentiellement portées par les hommes de rang issus de l’ex-rébellion,
créant, par conséquent, des frustrations chez les ex-FDS restés fidèles à l’ex-président,
Laurent GBAGBO pendant la crise post-électorale.
·
L’EQUATION
DES EX COMBATTANTS.
Comme il est de coutume dans les
pays sortant d’un conflit armé, avec l’appui de certains bailleurs financiers
et de l’ONUCI, la restructuration de l’armée et la mise en œuvre d’un programme
national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion ont été initiés. Le
DDR a facilité la réinsertion
socio-professionnelle de plusieurs milliers d’ex-combattants d’autant que ce
programme constituait l’un des leviers importants pour consolider la stabilité
socio-politique du pays. Ainsi, à l’issue d’un travail de vérification
entrepris par le gouvernement ivoirien en 2012, le nombre des ex combattants a
été revu à la baisse. Il est passé de 110.000 à 74.000 individus[4].
Le processus a permis de recueillir 43.510 armements y compris 14.121 armes. Ces
chiffres seraient loin de refléter la réalité bien que l'objectif quantitatif
du Gouvernement a été atteint et représente un taux de désarmement et de
démobilisation de 92%.
Les appréhensions quant au succès de ce programme se sont justifiées au fil du temps. La grogne persistante dans les rangs de ces ex-combattants traduit bien le bilan mitigé de ce programme. Si certains affirment avoir été laissés pour compte, d’autres ex-combattants ont jugé, insuffisantes, les mesures d’accompagnement censées faciliter leur réinsertion sociale et le retour à la vie civile. Plusieurs voix se sont élevées également pour dénoncer la non-tenue de promesses pécuniaires qui leurs avaient été faites durant la crise.
Les revendications des soldats qui ont été satisfaites, à l’issue de la mutinerie de janvier 2017, ont amplifié davantage ce sentiment de mépris chez les ex-combattants. Ceux-ci n’ont pas hésité à exprimer leurs griefs et revendications aux autorités ivoiriennes, par l’entremise de l’une de leurs associations dénommée la Cellule 39. Des velléités de manifestations de cette cellule ont été avortées par un émissaire du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly, en la personne de M. TOURE Souleymane (Conseiller spécial du Premier Ministre). Ces revendications s’articuleraient autour des points liés à « la reconnaissance sur tout le territoire ivoirien de la cellule 39 en tant qu'association dûment créée, la reconnaissance du grade de caporal attribué à chacun d'eux, l'intégration des plus jeunes dans l'armée, dans les corps para militaires et dans les régies financières, enfin et surtout, le versement de la prime de guerre »[5]
La question des ex combattants reste donc préoccupante. En dépit de l’opération de désarmement dont le gouvernement s’est félicité de la réussite, de nombreuses armes circulent encore à travers le pays. La situation sécuritaire est régulièrement mise à mal par les attaques armées des domiciles ou des établissements bancaires dans les zones urbaines et la recrudescence du phénomène des « coupeurs de route » qui a pris des proportions inquiétantes sur les principaux axes routiers de la Côte d’ivoire. C’est pour pallier ce type de criminalité que certaines unités spéciales ont été créées notamment le CCDO[6] qui est une unité constituée des agents de la police, de la gendarmerie et de l’armée.
Remise de matériels roulants des autorités
ivoiriennes au CDDO.
L’action du CCDO est fort appréciée
par les populations sur le terrain mais les attentes sont encore grandes
d’autant que la violence de la crise ivoirienne a favorisé l’essor d’une autre
forme de criminalité : le phénomène des enfants en conflit avec la loi ou
les « enfants microbes ». Il
s’agit de groupes d’enfants dont l’âge est compris entre 10 et 18 ans, armés
d’armes blanches (machettes, couteaux et d’autres objets contondants) souvent
sous l’effet d’excitants et de stupéfiants s’en prennent violemment aux
populations dans plusieurs quartiers d’Abidjan (Abobo, Adjamé, Yopougon, etc.).
Malheureusement, le phénomène s’étend à d’autres villes du pays (Daloa, Gagnoa,
Bouaké, etc.) nonobstant des mesures étatiques pour redonner une autre chance à
ses enfants dont la plupart sont déscolarisés.
·
LES VELLEITES DE DESTABILISATION AUX FRONTIERES
LES VELLEITES DE DESTABILISATION AUX FRONTIERES
L’ONUCI, outre son quartier général de l’ex hôtel SEBROKO à Abidjan, avait installé plusieurs contingents dans différentes régions de la Côte d’ivoire. Sa présence à l’ouest et au sud-ouest du pays était d’un apport précieux à l’armée ivoirienne. En effet, la fin de la guerre au Liberia n’a pas pour autant mis fin aux activités de certains groupes / groupuscules armés qui sévissent dans cette zone. La frontière commune avec la Côte d’ivoire qui bénéficie d’une végétation luxuriante sert de sanctuaire à ces bandes armées. Celles-ci font régulièrement des incursions dans la zone ivoirienne, laissant sur leurs passages des pertes en vies humaines et des destructions de biens matériels. D’ailleurs, ces incursions occasionnent parfois de pertes en vies humaines dans les rangs de l’armée ivoirienne.[7]
Ce foyer d’insécurité représente une menace réelle pour la stabilité du pays qui peine à protéger les populations civiles dans cette zone. Les ivoiriens ont encore en mémoire la participation des mercenaires libériens au conflit qui avait déchiré leur pays, à l’occasion de la crise post-électorale de 2010-2011. La présence de l’ONUCI dans cette région avait un effet dissuasif en raison de sa logistique et de ses équipements développés. Cette présence sur le terrain se matérialisait par des patrouilles régulières. Elle dissuadait surtout les velléités de déstabilisation, ou autres actions subversives, puis rassurait les populations épouvantées par la violence inouïe utilisée par ces groupes armés. Désormais, l’armée ivoirienne devra toute seule faire face à cette menace persistante et être capable d’une réaction prompte et efficace en cas d’attaque. La sécurisation de cette frontière reste l’un des défis majeurs en matière de sécurité pour l’Etat ivoirien.
Au total, la Côte d’ivoire renoue progressivement avec la normalité et la stabilité socio-politique. Celles-ci restent encore fragiles surtout en raison d’une armée en reconstruction, et peu respectueuse des valeurs républicaines et de la discipline militaire. Des défis importants se présentent à cette armée au moment où l’ONUCI quitte définitivement ce pays. Ces défis se définissent en termes de construction d'une armée plus professionnelle, censée protéger les biens et les personnes sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Ce challenge concerne la capacité de cette armée à parer à d’éventuelles actions subversives extérieures et internes.
[1] Cette résolution
a été adoptée le 28 Avril 2016.
[6] Le CCDO
est le Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles. C’est une unité
spéciale mise en place le 11 Mars 2013 par le président Alassane OUATTARA. Il est
composé de 750 policiers, gendarmes et militaires qui ont pour mission
essentielle de combattre le grand banditisme. Ces hommes sont placés sous l’autorité
d’officiers de la police, de la gendarmerie et de l'armée.
[7] Le 02
Décembre 2015, des attaques d’une bande armée venue du Liberia ont occasionné la
mort de six soldats des FRCI dans les localités d’Olodio
et de Grabo (Sud-ouest). Lien sur cette attaque : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/04/cote-d-ivoire-attaques-contre-les-forces-de-securite-six-soldats-tues_4824026_3212.html
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